Arrière plan politique et culturel (4)

D-Janus géopolitique : France contre Allemagne 1940-48

 

Ce titre de l’ouvrage de référence de Fabrice d’Almeida caractérise parfaitement la situation de la France et de l’Allemagne qui entre la fin de la guerre de Pologne et le début du second conflit mondial, entre le 15 décembre 1939 et le 5 septembre 1948 connaissent des trajectoires diametralement opposés, deux courbes qui se croisent.

En septembre 1939, l’Allemagne d’Adolf Hitler semble invincible, volant de succès en succès, profitant de la faiblesse de démocraties parlementaires en crise. La guerre qui éclate semble devoir trancher dans le vif entre la prédominance de la démocratie ou le triomphe définitif du modèle autoritaire qui domine déjà en Europe centrale et orientale.

 Or non seulement la guerre de Pologne ne résout rien mais l’attentat de la Brasserie du 9 novembre 1939 semble provoquer un renversement complet de la situation, comme si l’Allemagne et la France étaient un Janus, deux faces d’une même chose.

L’Allemagne s’enfonce dans la médiocrité puis dans la guerre civile perdant quatre à cinq années dans sa préparation à la guerre alors que la France elle mène un réarmement massif, redevenant la première armée d’Europe, l’une des mieux équipées et des mieux préparées au conflit qui s’annonce.

Sure de sa force, la France du PSF, la France de la Révolution Nationale peut se permettre une politique extérieure ambitieuse en Europe comme dans le reste du monde.

Lavant la honte de Munich, elle relance la Petite Entente avec la Grèce et la Yougoslavie mais échoue à faire de même avec la Hongrie alors que la Roumanie et la Turquie semble mener un double-jeu, menant une politique de bascule entre Paris et Berlin.

Sur le plan colonial, elle maintient fermement et férocement son autorité, réprimant dans le sang les révoltes des colonisés mais prépare déjà à pas feutré une évolution de l’Empire en s’inspirant sans se l’avouer du Commonwealth.

Ce projet d’Union Française voit la suppression du travail forcé et du code de l’indigenat. L’émergence d’élites indigènes est encouragée, des assemblées consultatives préparant toute une génération de politiciens africains à la vie politique et parlementaire.

La citoyenneté française est accordé à de nombreuses familles et pas simplement au compte-goutte  mais c’est encore trop pour certains colons ou pour les pied-noirs d’Algérie qui s’opposent avec succès à la réforme Jeanneney (meilleur représentation politique de la population musulmane, citoyenneté française pour certains musulmans d’Algérie) en 1946 en bloquant les ports d’Algérie.

Cet affrontement franco-allemand n’est pas simplement politique, il est aussi sportif et culturel avec d’un côté la Propaganda Staffel et de l’autre l’Office Français de la Propagance Extérieure (OFPE) créé en juin 1942 pour coordonner la guerre psychologique face à l’Allemagne nazie et l’Italie fasciste.

Jean Zay

A sa tête, un ancien socialiste rallié au PSF, Jean Zay. Ce choix est tout sauf innocent. Brillant administrateur, il est surtout l’auteur d’un pamphlet intitulé «De la propagande de Goebbels» publié en novembre 1940 et qui démonte les techniques du maitre es-propagande du IIIème Reich à tel point que dans son journal, à la date du 5 décembre, Joseph Goebbels écrit :

Joseph Goebbels

Aujourd’hui, la valise diplomatique de notre ambassade à Paris nous à transmis un livre du juif Jean Zay sur mon oeuvre, mon travail. Je dois l’avouer que pour un juif, il ne manque pas d’intelligence. Redoutable est cet homme, le plus dangereux pour notre action de propagande. Je frémis à l’idée de ne trouver une parade à son action destructrice.

Cet ouvrage passe quasi-inaperçu parmi le grand public mais n’échappe pas au chef du PSF, le colonel François de La Rocque qui reçoit longuement celui qui est encore membre de la SFIO à l’époque.

A la suite de plusieurs entrevues, déçu par la SFIO, il se rapproche du PSF au point d’adhérer en mars 1941, suscitant la haine de ses anciens camarades de parti. A Guy Mollet qui lui reproche d’avoir abandonné ses convictions, il répond.

 Je n’ai pas abandonné mes convictions de liberté, de démocratie et de justice sociale. Je suis persuadé que le PSF est le seul parti à pouvoir sauver la France d’un nouveau conflit mondial et régénérer ce pays.

Quand est créé l’OFPE chargé de coordonner l’action d’influence à l’étranger en Europe et dans le Monde, le président Tardieu et le président du conseil Paul Reynaud pensent à lui.

L’ancien ministre de l’Instruction Publique du Front Populaire hésite puis finit par accepter, déployant à sa tête une énergie et un enthousiasme communicatif, faisant enrager Goebbels qui ira jusqu’à demander à l’Abwehr de le faire assassiner .

On ignore cependant encore aujourd’hui si l’Abwehr est bien à l’origine de l’attentat manqué contre le directeur de l’OPFE à Berne le 4 mai 1947 (voiture piégée, quatre morts dont le chauffeur de Jean Zay, ce dernier n’étant que légèrement blessé), les archives du service longtemps dirigé par l’amiral Canaris ayant disparu dans la confusion de la fin du conflit si archives il y eut.

L’action de l’OPFE est aussi variée que le financement de missions archéologique en Grèce et au Moyen Orient, la délivrance de bourses pour des étudiants européens brillants, l’organisation de tournées d’artistes et d’intellectuels français, d’expositions, tout pour favoriser le rayonnement de la France.

André Malraux, premier ministre de la Culture

Ce rayonnement passe aussi par le développement d’une politique culturelle nationale ambitieuse avec la création en mars 1942 d’un Ministère de la Culture confié à André Malraux.

L’auteur de la Condition Humaine, qui s’engagea aux côtés des républicains durant la guerre d’Espagne mène une politique active en liaison avec Jean Zay, leurs politiques formant deux faces d’une même pièce.

L’accès aux musées est favorisé au profit du plus grand nombre tout comme l’accès aux bibliothèques publiques. Des commandes publiques favorisent l’épanouissement de sculpteurs, de peintres et d’architectes français.

C’est cependant dans le domaine du cinéma que l’action du ministre est la plus marquante. Il encourage la mise sur pied d’un Festival International du Film qui connait sa première édition à Cannes en 1943 après une première tentative avortée en 1939.

Les studios de la Victorine à Nice et ceux des Roches-Noires près d’Alger n’ont rien à envier avec les Studios de la Cinecitta à Rome, ceux de Pinewood en Angleterre ou ceux de Babelsberg à Berlin et permettent la réalisation de nombreux chefs d’oeuvres du cinéma français comme l’Assassin habite au 21 d’Henri George Clouzot  mais également d’actualités cinématographiques.

Le 17 septembre 1945 sort au cinéma Napoléon le Grand, une fresque épique de 4H30 retraçant l’histoire de Napoléon Bonaparte et de Napoléon 1er. Les scènes de bataille voit l’engagement en costumes d’époque de 25000 figurants, essentiellement des soldats de l’armée française.

Abel Gance

Réalisé par Abel Gance déjà auteur d’une fresque épique en 1927, il répond au Das König de Friedrich von Wilhelm consacré à Frederic le Grand et sorti début 1943.

Ce film consacré au vainqueur d’Austerlitz sort aux Etats-Unis en pleine guerre en 1952. Dans un cinéma de Cincinatti, un petit garçon de six ans assiste fasciné à cette saga épique, un petit garçon appelé Steven Spielberg.

Bien plus tard, le réalisateur de Rencontre du troisième type confiera avoir voulu devenir réalisateur en admirant cette fresque épique. Il travaillera d’ailleurs sur un biopic consacré à Napoléon avant d’estimer que cela serait un crime contre les chefs d’oeuvre de M. Gance qu’il rencontra en 1976, cinq ans avant la mort de ce dernier.

Le contexte politique agité explique qu’à partir de 1945, de nombreux films historiques sortent sur les écrans français, des films dont les thèmes sont puisés dans les batailles de la Révolution française mais également de la Renaissance.

Étrangement, le Moyen Age n’est guère mis en valeur et si un film est consacré à Marignan, on cherchera vainement un film sur Crecy et Azincourt.

La France baigne alors dans une ambiance d’un patriotisme échevelée, d’un nationalisme brûlant et brillant au grand dam des internationalistes du PCF ou des pacifistes qui rêvent des États-Unis d’Europe.

Un événement symbolise le mieux cette ambiance : les funérailles nationales du maréchal Pétain décédé à l’âge de 90 ans le 7 mai 1946.

Dès l’origine, le président Reynaud décide de faire de cet événement tragique un moment de communion patriotique et nationaliste.

Les archives démontreront que dès le premier AVC du vainqueur de Verdun en janvier, le président Reynaud avait demandé à André Malraux de préparer quelque chose de «grand, de beau, à la auteur de ce grand homme».

En dépit des réserves de sa veuve, décision est prise de l’enterrer à l’ossuaire de Douamont au milieu des poilus morts pour la France comme il l’à souhaité.

Une récente biographie consacré à Eugénie Pétain révèle les dessous moins glorieux de ces réserve. Point de crainte d’instrumentalisation et de récupération politique mais la jalousie possessive d’une vieille femme acariâtre et profondément méchante comme l’avouera à la fin de sa vie son confesseur.

La cérémonie à lieu le 17 mai 1946 avec un office religieux à Notre Dame de Paris, une cérémonie flamboyante suivit d’une prise d’armes dans la cours des Invalides où les drapeaux des régiments ayant participé à la bataille de Verdun s’inclinent devant le cercueil du grand homme qu’il s’agisse des régiments dissous ou des régiments encore en activité.

Le cercueil est ensuite transféré à l’aérodrome de Villacoublay où le cercueil est embarqué à bord d’un Amiot 370 de transport direction l’aérodrome de Bar-le-Duc où il arrive en début de soirée. Le cercueil est monté sur une allonge d’artillerie et tractée par seize chevaux.

En pleine nuit, le cercueil va parcourir en six heures les 56km de la Voie Sacrée au milieu de flambeaux portés par des anciens combattants de cette terrible bataille de dix mois. A Verdun, le cercueil porté par douze pupilles de la nation, fils de soldats morts à Verdun et déposé dans la cathédrale Notre-Dame.

L’ossuaire de Douaumont où repose encore aujourd’hui le maréchal Pétain

Les 18 et 19 mai, le public se recueille une dernière fois sur le cercueil du vainqueur de Verdun qui est ensuite transféré à l’ossuaire de Douaumont au milieu des hommes qui ont combattu pour lui et contre lui puisque des soldats allemands y reposent également.

Jean Borotra alors joueur émérite de Tennis

Le sport joue également un rôle clé dans le relèvement voulu par le PSF dans la cadre de la Révolution Nationale. Faisant fi des accusations de cryptocommuniste ou de crypto-fascisme, le ministre des sports Jean Borotra développe l’enseignement du sport à l’école dans le but évident de préparer la jeunesse de France à un conflit qui devient chaque jour de moins en moins imprévisible.

Le sport professionnel n’échappe pas à cette attention. En dépit des préventions de certains attachés à l’amateurisme, la loi d’orientation sur le sport votée par la Chambre des Députés le 15 mars 1942 favorise le développement du football, la division I à seize clubs bénéficie des largesses des grandes entreprises encouragées à soutenir ces clubs.

Marcel Saupin (1872-1963)

L’Etat et les municipalités favorisent les fusions et l’émergence de clubs professionnels comme le F.C Nantes créé en septembre 1943 et qui sans la suspension du championnat décidée en août 1948 aurait entamé la saison 1948-49 en D1.

Il faudra attendre 1955-56 et le retour d’un championnat digne de ce nom (durant le conflit, des poules régionales ont été organisées pour pallier à la désorganisation des transports) pour le club entame sous la direction de José Arribas sa carrière en D1.

 Des infrastructures modernes sont également construites, des stades dignes des meilleures réalisations étrangères.

Quatre ans après le mondial en France, le monde du football se retrouve au Brésil pour le quatrième mondial. Seize équipes y participent avec onze pays européens (Italie France Suède Roumanie Suisse Allemagne Hongrie Pays-Bas Norvège Belgique Yougoslavie), trois pays sud-américains (Brésil Argentine Uruguay) et deux pays asiatiques (Indes Néerlandaises Japon).

Ces seize pays sont répartis entre quatre poules de quatre équipes. La France se retrouve dans le groupe B avec l’Allemagne, la Belgique et les Indes Néérlandaises. Si le match contre la future Indonésie est une formalité (9-0), les deux matchs suivants sont plus compliqués avec un nul contre la Belgique (1-1) et une défaite contre l’Allemagne (2-1). Résultat : la France est éliminée au premier tour.

Cette défaite est vue comme une humiliation et pour le mondial 1946 en Angleterre, la FFF reçoit l’ordre de mettre le paquet pour permettre à la France d’aligner en Angleterre une équipe compétitive.

Seize pays vont y participer : dix pays européens (Angleterre Ecosse France Italie Suède Roumanie Allemagne Pays Bas Belgique Yougoslavie), quatre pays sud-américains (Brésil Argentine Uruguay Chili) un pays d’Amérique du Nord (Etats Unis) et un pays d’Asie (Japon).

La France se retrouve dans le Groupe C en compagnie de l’Argentine, des Etats-Unis et des Pays Bas, un groupe à sa portée. Elle fait match nul contre l’Argentine à Wembley (1-1), l’emporte contre les Pays Bas à Old Trafford (3-1) puis contre les Etats Unis à Goodison Park à Liverpool (2-0).

Qualifié pour les quarts de finale, elle affronte l’Italie qu’elle défait 2-1 et tombe en demi-finale contre l’Ecosse. Le XI du chardon l’emporte 2-1 en prolongations à Wembley avant d’être battu par la Brésil en finale.

La coupe du monde 1950 devait avoir lieu en Argentine mais entre-temps, le conflit à éclaté ce qui annula cette sixième édition ainsi que la septième prévue en Allemagne en 1954.

Le sport c’est aussi les jeux olympiques. Trois olympiades ont encore lieu avant le déclenchement du second conflit mondial.

Pour les jeux d’été, les JO de 1940 ont lieu à Helsinki en remplacement de Tokyo initialement prévu mais qui avait été sanctionné pour avoir envahit la Chine en 1937. Dans la capitale finlandaise, la France va s’illustrer remportant 23 médailles (8 d’or, 9 d’argent et 6 de bronze) soit quatre de plus par rapport à Berlin quatre ans plus tôt.

Ceux de 1944 sont organisés à Londres comme en 1908. Cette fois la France est moins à la fête avec seulement 16 médailles (5 en or, 7 d’argent et 4 de bronze) mais elle va rectifier le tir à Rome en 1948 avec 27 médailles (10 d’or, 8 d’argent et 9 de bronze). Les jeux de 1952 prévus à New York sont annulés mais la «Big Apple» obtiendra ceux de 1956.

En ce qui concerne les jeux d’hiver, ceux de 1940 ont été organisés à Garmisch-Partenkirschen comme en 1936 mais cela s’explique par le retrait de l’organisation attribuée à Sapporo en raison de l’invasion de la Chine par le Japon.

Ceux de 1944 ont lieu à Cortina d’Ampezzo et ceux de 1948 ont lieu à Saint Moritz. Ceux de 1952 devaient avoir lieu à Oslo mais ils sont annulés par le second conflit mondial mais la capitale norvégienne obtiendra ceux de 1956.