Du Siècle d’Or néerlandais à la Révolution française : puissance et déclin
«Le siècle d’or néerlandais»
Alors que l’indépendance des Provinces-Unies ne soit reconnue par la couronne d’Espagne, commence ce qu’on à appelé le «siècle d’or néerlandais» (De Gouden Euw en V.O), une période de prospérité qu’elle soit économique, financière, culturelle mais aussi politique, les sept provinces calvinistes ayant appartenu aux Pays-Bas espagnols tenant tête à l’Angleterre, contestant sa puissance navale et coloniale. Cette période dure grosso modo de 1584 à 1702.
Le commerce est stimulé par le blocus de l’estuaire de l’Escaut qui ruine Anvers et favorise les ports septentrionaux comme Amsterdam. Les sept provinces contrôlant le Rhin maritime et son débouché ce qui favorise sa prospérité.
Si les calvinistes les plus intransigeant dominent, il règne une certaine tolérance religieuse ce qui attire nombre d’exilés qui apportent leurs compétences, leur savoir-faire un peu comme les huguenots qui quittèrent le royaume de France pour les Provinces-Unies ou la Prusse, privant notre pays d’un certain nombre de savoirs-faire.
L’essor commence donc alors que la guerre est en cour mais c’est surtout durant la Trève des Douze Ans (1609-1621) que la République des Provinces-Unies (Republiek der Zeven Verenigde Provinciën) prend son formidable essor.
Cet essor est donc d’abord commercial. Il commence dès la fin du 15ème siècle en direction de la Baltique mais très vite les marchands de la riche province de Hollande et notamment les marchands amstelodamois se tourne vers l’outre-mer et notamment l’Asie et l’Amérique.
Les marchands profitent également du fait que les grandes puissances maritimes de l’époque sont surtout engagées dans la guerre, délaissant le grand commerce.
La puissance néerlandaise va s’appuyer sur quatre forces principales : une supériorité navale écrasante (15000 navires vers 1670 soit cinq fois la flotte marchande anglaise sans compter une puissante marine de guerre), une extension de l’activité commerciale à toutes les routes océaniques, une gamme étendue de produits et une optimisation de l’offre de cale.
En 1602, la compagnie néerlandaise des Indes Orientales (Vereenidge Oost-Indische Compagnie) voit le jour. Comme c’est le cas à l’époque, cette compagnie est une compagnie monopolistique qui gère le commerce en direction de l’Asie.
Elle dispose de comptoirs et de mouillages en Indonésie, au Japon, à Formose (Taiwan), à Ceylan mais aussi au Cap, le site découvert par les portugais (mais qui préférèrent coloniser le Mozambique) servant de station de ravitaillement en eau et vivres frais.
Cette compagnie est si célèbre qu’à éclipser son pendant occidentale, la compagnie néerlandaise des Indes occidentales (Geoctroyeerde Westindische Compagnie ou GWC) qui va gérer les comptoirs commerciaux en Amérique du Sud, dans les Caraïbes mais aussi sur l’île de Manhattan avec la création d’un comptoir appelé Nouvelle Amsterdam avant de prendre le nom qui allait le rendre célèbre : New York.
Les marchands néerlandais continuent également à opérer en Baltique et en Russie (straatvart), en Italie et au Levant (levantvaart).
Vers 1670, la valeur annuelle des cargaisons atteint la somme record de cinquante millions de florins.
J’ignore la somme que cela représente aujourd’hui mais dans un documentaire sur la peste de Marseille en 1720, la cargaison du navire infecté, le Grand Saint Antoine transportait une cargaison de 300000 livres ce qui représente aujourd’hui la somme de 9 millions d’euros. Cela peut donner une idée de ce que représente 50 millions de florins de 1670 en 2020.
Les principaux produits sont les épices, la soie, le coton,le sucre, le tabac, le bois du Brésil mais aussi les esclaves (dans un premier temps les marchands néerlandais ont refusé par philosophie mais ont finit par céder car c’était un commerce particulièrement lucratif).
Le commerce entraîne une industrie (notamment de transformation). On trouve notamment de nombreux chantiers navals (les plus productifs du monde), des raffineries de sucre, des manufactures de tabac, des savonneries, des huileries, des tailleries de diamant ainsi que des usines textiles, les draps de Leyde étant particulièrement réputés. Ce secteur industriel emploi près de 100000 personnes.
Le commerce à aussi besoin d’institutions annexes. Une Banque de Change est créé à Amsterdam en 1609 suivit deux ans plus tard en 1611 d’une Bourse. Ces deux institutions sont toujours présentes aujourd’hui.

Le Grand Pensionnaire Johan De Witt
Le déclin va commencer avec l’année désastreuse ou Rampjaar. En l’an 1672, les frères De Witt sont lynchés à La Haye par des orangistes, des partisans de la dynastie d’Orange-Nassau et du stathouderat que revendiquait le futur Guillaume III d’Angleterre, roi consort d’Angleterre aux côtés de son épouse Marie II Stuart, le couple ayant succédé à Jacques II suite à la Glorieuse Revolution.
La rivalité néerlando-anglaise avait débouché sur une deuxième guerre anglo-néerlandaise remportée par les Provinces-Unies, obligeant le roi d’Angleterre Charles II à signer en 1667 la paix de Breda.
En 1668, les anciens ennemis se liguèrent avec la Suède pour s’opposer à la France qui en envahissant les Pays-Bas espagnols avait déclenché la guerre de dévolution. En 1672, la troisième guerre anglo-néerlandaise avait éclaté ce qui entraîna la France à déclarer la guerre aux Provinces-Unies en compagnie de la principauté de Cologne et la principauté épiscopale de Munster.
De Witt et son frères sont donc renversés et lynchés. Alors que la situation militaire est dramatique, Guillaume III est appelé au poste de Stathouder. La paix est signée avec l’Angleterre dès 1674 mais il faudra attendre 1678 pour que la paix revienne avec la France suite au traité de Nimégue.

Guillaume III d’Orange-Nassau. Mort des suites d’une chute de cheval visiblement provoquée par une taupe, les jacobites trinquèrent au « petit homme en noir »
En 1688, Guillaume III et son épouse Marie II Stuart deviennent co-souverains d’Angleterre ce qui n’est pas vraiment une bonne nouvelle pour l’économie et le commerce néerlandais. Non seulement Guillaume III se sent plus roi d’Angleterre que chef des Provinces Unies mais en plus le Parlement britannique mène une politique qui favorise clairement le commerce national.
On à longtemps parlé de décadence des Provinces-Unies mais les historiens modernes ont relativisé en parlant plutôt de stagnation. La compagnie néerlandaise des Indes Orientales connait de sérieuses difficultés financières en raison de l’explosion des prix et du manque de fonds d’une compagnie mal gérée et victime d’une corruption endémique.
En 1702, la guerre de succession d’Espagne éclate. Surtout Guillaume III meurt à 52 ans des suites d’une chute de cheval. Comme aucun candidat n’est crédible pour le poste de stathouder, la forme oligarchique et décentralisée du gouvernement reprend le dessus. Ce n’est qu’en 1747 qu’un nouveau stathouder prendra le relais avec Guillaume IV, un membre d’une branche cadette de la maison d’Orange puisque Guillaume III était mort sans descendance masculine.
La fin du Siècle d’Or c’est aussi la fin d’une politique étrangère ambitieuse, les régents faisant adopter le principe que la république devait s’abstenir de jouer un rôle dans les affaires internationales. Point de grandeur d’âme là dedans mais le constat lucide que l’Union d’Utrecht n’avait plus les moyens de ce type de politique.
Le fait que la guerre de succession d’Espagne se soit terminée par des traités signés au Pays-Bas (traités d’Utrecht et de Raastadt) est significatif, les autres belligérants n’ayant rien à craindre des Provinces-Unies.
Cette situation économique compliquée va favoriser la diffusion du mouvement des Patriotten qui vont limiter pour la modernisation et la démocratisation d’une république oligarchique clairement à bout de souffle.
La constitution d’un empire colonial
Dans cette partie je vais brosser à grands traits la constitution d’un empire colonial tourné vers le commerce avec comme pour la Grande-Bretagne un joyau asiatique, les Indes Néerlandaises, future Indonésie.
Dans un premier temps l’oeuvre coloniale sera menée par deux compagnies à monopoles, la très connue VOC (Vereenidge Oost-Indische Compagnie) ou Compagnie des Indes Orientales et la assez méconnue GWC (Geoctroyeerde Westindische Compagnie) ou Compagnie des Indes occidentales.
Ce n’est que plus tard que le gouvernement néerlandais s’impliquera pleinement et directement dans l’expansion de l’empire colonial néerlandais qui commence à émerger au XVIIème siècle alors que le pays n’est pas encore indépendant de jure même si il l’est de facto.
Les brillants résultats obtenus par un pays d’à peine 2 millions d’habitants suscite l’admiration de tous les penseurs européen qui tentent de trouver les raisons du «miracle néerlandais».
Cet empire va connaître un sérieux affaiblissement suite aux guerres anglo-néerlandaises qui voit la Grande-Bretagne subir d’abord de lourdes défaites face à la puissance navale néerlandaise avant de prendre peu à peu le dessus.
C’est cependant les guerres napoléoniennes qui vont faire le plus mal puisque les Pays-Bas appartenaient de gré ou de force dans le camp français, les anglais occupèrent les colonies néerlandaises et ne les rendirent pas tous quand la paix revint enfin en Europe après plus de vingt années de guerre.
Cet empire va s’étendre si l’on peut dire sur tous les continents même si les implantations vont pour la plupart rester très limitées en superficie soit parce qu’un état plus puissant et déjà présent chassent rapidement les marchands, explorateurs et militaires néerlandais ou parce que tout simplement les néerlandais cherchent à faire du commerce et non à acquérir un vaste territoire qu’il faudra ensuite défendre et administrer.
La seule implantation «coloniale» néerlandaise en Europe est l’île de Spitzberg occupée de 1620 à 1660 sous le nom de Smeerenburg.
En Amérique Nord, les néerlandais envoient en 1609 Henry Hudson explorer le fleuve auquel il allait donner son nom. C’est en 1624, sur l’île de Manhattan que les néerlandais fondent une ville qu’ils baptisent Nouvelle-Amsterdam. C’est en 1614 que le terme «Nieuw Néderlande» (Nouvelle Néderlande) apparaît sur les cartes.
La colonie néerlandais s’étend sur plusieurs des états actuels du Nord-Est des Etats-Unis en l’occurrence l’Etat de New-York, l’état du Delaware, celui de Pennsylvanie, du New Jersey et du Connecticut.
Plusieurs villes sont fondées. Outre la Nouvelle-Amsterdam, on trouve également Fort Orange (Beverwijck) qui deviendra Albany après la conquête britannique. En 1655, la Nouvelle-Suède fondée en 1638 est conquise par les néerlandais qui fondent une nouvelle ville sur les rives de la rivière Delaware, une ville baptisée Nouvelle-Amstel (auj. New Castle).
La Nouvelle Néderlande est conquise par les britanniques en 1664 et est définitivement rattachée à l’empire britannique en 1673. Nouvelle-Amsterdam devient New-York.
Dans les Antilles, les néerlandais occupent plusieurs îles via l’action de la compagnie néerlandaises des Indes occidentales.
Cette compagnie appelée en version originale Geoctroyeerde Westindische Compagnie ou GWC) est fondée le 3 juin 1621. Elle disparaît une première fois en 1674 mais est recréée en 1675 avant de disparaître définitivement en 1792.
Fondée par Willem Usselincx, les dirigeants de la GWC sont appelés Heeren XIX. La compagnie créé des comptoirs de commerce et des forts, luttant contre les vaisseaux espagnols, portugais, britanniques et même chinois.
Les principaux produits échangés sont des fourrures, de l’or, du sucre, du tabac, du cacao, de l’ivoire et des esclaves. Près de 1000 navires et 10000 hommes vont servir la GWC.
Son action va être intense sur tout le continent américain avec un succès variable. Je ne reviendrai pas sur l’Amérique du Nord que j’ai déjà étudié, je vais me concentrer sur les Antilles Néerlandaises, le Guyana et le Suriname.
En 1630, la région de Pernambuco et ses villes de Recife, de Natal et de Salvador sont prises aux portugais pour s’emparer de la production sucrière. Recife est rebaptisée Mauritsstaad du nom du gouverneur Jean-Maurice de Nassau-Siegen.
Deux ans auparavant, en 1628, une flotte néerlandaise commandée par Piet Hein s’empare d’une flotte espagnole chargée de métaux précieux. Pour les espagnols c’est de la piraterie et pour les néerlandais tous les moyens étaient bons pour affaiblir une Espagne qui refusait toujours de reconnaître l’indépendance des Provinces-Unies.
En 1635, le trafic d’esclaves jusqu’ici interdit est autorisé, la rigueur morale des calvinistes n’ayant pas résisté longtemps au lucre et aux juteux profits d’un commerce très rentable.
En 1641, un armistice est signé entre les Provinces-Unies et le Portugal alors que les lusitaniens venaient de se révolter contre le joug espagnol (le Portugal avait le même roi que l’Espagne mais l’union était personnelle). Cependant le conflit reprend dès 1642, la révolte contre les néerlandais étant générale en 1645. Neuf ans plus tard, les portugais chassent les néerlandais du Brésil (1654).
En 1664, la Nouvelle Nederlande est prise par les anglais qui l’échange avec la colonie du Suriname qui allait devenir la seule colonie néerlandaise d’Amérique du Sud, encadrée au sud par la Guyane française et au nord par le Guyana.
En 1667, la compagnie s’empare du fort portugais d’Elmina sur la côte d’Or (actuel Ghana) et fonde de nouveaux comptoirs en Angola.
En 1674, la compagnie fait faillite mais renaît un an plus tard, la GWC nouvelle version recentra son action sur la gestions des comptoirs commerciaux existants aux Antilles et au Surinam.
Cette colonie est prise par les anglais dans les années 1780 ce qui entraîna de nouvelles difficultés pour la compagnie. Le gouvernement des Provinces-Unies rachète le fond de commerce en 1791 et la compagnie disparaît officiellement l’année suivante.
Les principales îles des Antilles Néerlandaises sont Aruba, Curaçao, Bonaire, Saint-Martin, Saint-Eustache et Saba avec parfois des courtes périodes d’occupation étrangère. Les îles Vierges britanniques ou américaines étaient jadis néerlandaises (1625-1680). De 1628 à 1677, l’île de Nieuw-Walcheren à été un comptoir néerlandais (l’île appartient aujourd’hui à Trinité-et-Tobago).
L’île chilienne de Chiloé été occupée par Hendrik Brouwer en 1643 mais cette occupation fût très éphémère.
Outre l’Amérique, la GCW s’intéresse comme nous avons à l’Afrique. Outre le comptoir capturé sur les portugais sur la côte d’or, les néerlandais vont installer plusieurs comptoirs notamment dans les actuels Sénégal et Mauritanie mais ces comptoirs comme celui de l’île de Gorée furent éphémères.
Des comptoirs sont également implantés dans d’autres régions d’Afrique occidentale mais là aussi ils sont éphémères.

La ville du Cap aujourd’hui
En revanche, le comptoir du Cap créé en 1652 va devenir une colonie prospère au grand dam des dirigeants de la VOC qui voulaient se contenter d’un comptoir et d’une station de rafraîchissement.
La Vereenidge Oost-Indische Compagnie (VOC) voit le jour le 20 mars 1602. C’est une société à actions avec de gros actionnaires mais aussi l’utilisation d’une épargne populaire. Elle est bien plus grosse que sa consœur occidentale puisqu’elle aligne plus de 10000 hommes avec plus de 4770 navires dont 630 ont disparu ou coulés.
Cette compagnie véritable mastodonte protocapitaliste est le résultat du regroupement de compagnies privées qui étaient jugées trop faibles pour se battre contre l’Espagne et le Portugal.
La VOC tout comme sa consœur britannique de l’East Indian Company (EIC) (avec laquelle elle va nouer une alliance contre l’ennemi espagnol) va devenir plus qu’une simple compagnie de commerce mais une véritable puissance territoriale qui va s’étendre en Asie avec des comptoirs en Insulinde mais aussi à Ceylan, à Formose, en Chine et au Japon.
Ceylan est prise aux portugais en 1656 et va rester sous autorité néerlandaise en 1796 quand les britanniques s’en emparent. Le comptoir installé sur la côte occidentale de Formose créé en 1624 va être prise par un pirate chinois en 1662, rendant les néerlandais dépendant des chinois pour accéder aux marchés de l’empire du Milieu.
Les néerlandais sont aussi présents au Japon. En 1639, les portugais sont expulsés par des japonais excédés de leur prosélytisme religieux. Installés en baie de Nagasaki, ils vont rester même après la fermeture du pays aux étrangers. Deux ans plus tard en 1641, Malacca est prise aux portugais.
Au final l’empire néerlandais va se composer de quelques îles dans les Antilles, d’une colonie sud-américaine (Surinam qui est occupée par les britanniques de 1796 à 1816), d’une colonie africaine (Le Cap jusqu’en 1814), de l’île de Ceylan (jusqu’en 1796) et surtout des Indes Néerlandaises, un regroupement sous la férule d’un colonisateur européen de territoires aux populations ayant des langues, des religions et des coutumes différentes.
A noter que certains historiens rejettent cette idée «d’empire néerlandais» estimant qu’il n’y à pas eu de véritable volonté impérialiste.
Ce qui est certain en revanche c’est que la VOC disparaît en 1799. Les raisons de cette disparition sont multiples : corruption, frais toujours plus importants pour des profits moins importants, évolution des goûts des consommateurs européens, émergence du capitalisme britannique et aussi l’histoire politique mouvementée des Provinces-Unies au 18ème siècle.