1917 : Deux révolutions en une année
Révolution de Février : à bas le tsar vive la république !
Avant d’aborder les événements en détail il faut éclaircir une question de calendrier. Si les événements que je vais décrire sont entrés dans l’histoire sous le nom de révolution de Février c’est que les dits événements ont eu lieu selon le calendrier julien du 23 février au 3 mars 1917 alors que si on suit le calendrier grégorien, le mouvement révolutionnaire qui entraîne l’abdication de Nicolas II à lieu du 8 au 18 mars 1917.
A la différence de la révolution d’octobre, ce mouvement à été spontanée, imprévisible et imprévu, la conjonction des mécontentements entraîne une insurrection à Pétrograd, insurrection qui débouche sur l’abdication de Nicolas II et la mise en place de la République Russe, république qui dès l’origine va se trouver divisée entre deux pouvoirs concurrents : le gouvernement provisoire de Kerenski et le Soviet de Pétrograd.

Alexandre Kerensky
Comme nous l’avons vu plus haut, la Russie rentre en guerre sure de sa force. Avec ses quinze millions de soldats mobilisables, elle semble ne devoir faire qu’une bouchée des empires centraux.
Seulement voilà si il y à bien un immense réservoir humain, l’industrie encore jeune est bien incapable de fournir les quantités colossales de matériel nécessaires pour mener une guerre moderne.
De plus si certains officiers sont très bons, d’autres sont de vulgaires courtisans et comme le tsar décide de prendre lui même la tête de ses armées la conduite du conflit va vite tourner au vinaigre.
La guerre génère des troubles socio-économiques importantes, augmentant le mécontentement de la population qui voit toujours plus de sacrifices mais toujours moins de récompenses ou de satisfactions. C’est ainsi qu’on compte plus d’un million de grévistes en 1916, les affrontements avec la police se multiplient.
A ces problèmes socio-économiques s’ajoute une perte totale de crédibilité du gouvernement et même de l’autocratie. Les timides réformes effectuées après la révolution de 1905 ne satisfont personnes et sont surtout très incomplètes.
Quand débute l’année 1917 toute est propice à l’éclatement d’une révolution majeure. L’hiver 1916/17 est particulièrement rigoureux entraînant de très sérieux problèmes alimentaires.
La nourriture ne fait pas défaut mais les moyens de transport manquent pour transporter la nourriture entre les zones de production et les zones de consommation. A cela s’ajoute la profonde lassitude vis à vis d’un conflit interminable sans succès significatifs.
Tout commence le 9 janvier par une grève massive, grève associée à des manifestations à Petrograd, Moscou, Bakou,Nijni Novgorod. L’idée d’une grève générale émerge peu à peu et les rapports de l’Okhrana se font chaque jour plus alarmants.
La révolution de février proprement dit commence le 18 février 1917 (3 mars dans le calendrier grégorien) quand des ouvriers de l’usine Putilov se mettent en gréve. Deux jours plus tard la rumeur de l’instauration d’un rationnement de pain déclenche ce qu’on appelait jadis en France une «émotion populaire».
Tout s’accélère le lendemain 21 février (6 mars) 1917 quand l’usine Putilov est contrainte de fermer faute d’approvisionnements. Des milliers d’ouvriers se retrouvent au chômage et sont donc à la merci du premier agitateur, du premier leader charismatique venu prêt à exploiter la rancœur et le mécontentement.
Alors que le gouvernement aurait du faire preuve d’autorité et de présence, le tsar rassuré par un entourage en dessous de tout quitte Petrograd pour Moguilev. Le 23 février (8 mars) 1917 plusieurs cortèges de femmes manifestent dans le centre-ville de la capitale russe pour obtenir du pain.
Des ouvriers quittent leur travail et rejoignent les cortèges, les slogans jadis très prosaïques deviennent plus politiques. Une partie de la troupe refuse ainsi d’intervenir ce qui encourage les manifestants qui le lendemain 24 février (9 mars) sont plus de 150000.
Les forces de l’ordre sont dépassées et paralysées par l’absence d’ordres précis. Le 25 février (10 mars), la grève est générale et aux revendications strictement économiques s’ajoutent des revendications politiques «A bas la guerre» «A bas l’autocratie !» «Vive la république».
Des affrontements ont lieu entre manifestants et forces de l’ordre, des blessés et des morts sont relevés des deux côtés.
Dans la soirée du 25 février (10 mars), Nicolas II ordonne aux forces de l’ordre de réprimer sans faiblesse les désordres.
Si cet ordre avait été donné dès le premier jour peut être que le gouvernement aurait pu reprendre le dessus mais cette absence de compromis, cette rigide inflexibilité va faire basculer ce mouvement d’une simple «révolte de la faim» à un mouvement révolutionnaire.
Le lendemain 26 février (11 mars) 1917, la police et la garnison de Petrograd est massivement mobilisée pour mettre fin aux troubles. De violents affrontements ont lieu provoquant plus de 150 morts chez les manifestants.
Ce n’est cependant pas fini car des soldats refusent de tirer, des affrontements ont même lieu entre unités militaires comme lorsque la 4ème compagnie du régiment Pavloski tire sur la police montée.
Nicolas II s’enferme dans cette stratégie jusqu’au boutiste. Il proclame l’état de siège, ordonne le renvoi de la Douma et la nomination d’un comité provisoire. L’histoire semble alors hésiter, semble alors bégayer entre deux conclusions.
Dans la nuit du 26 au 27 février (11 au 12 mars), deux régiments d’élite se mutinent fraternisant avec les ouvriers. Cette fraternisation s’étend et dans la journée du 27 février (12 mars) 1917 on peut considérer que la capitale est aux mains de l’insurrection. Un Soviet est créé pour canaliser le mouvement c’est la naissance du Soviet de Petrograd.
A l’annonce de la création de ce soviet, une grève générale éclate à Moscou, provoquant l’élection d’un comité révolutionnaire provisoire. Cependant le soviet n’est pas le seul organe de pouvoir dans la capitale, un comité provisoire pour «le rétablissement de l’ordre gouvernemental et public» est mis sur pied.
Des négociation aboutissent le 2 mars (15 mars) à un compromis. En attendant la convocation d’une assemblée constituante, le soviet reconnaît la légitimité d’un gouvernement provisoire libéral à condition qu’un vaste programme de réformes démocratiques soit mené.
Et du côté du pouvoir «légitime» que se passe-t-il ? A la surprise générale, l’état-major comme plus tard l’état-major allemand fait pression sur Nicolas II pour qu’il abdique afin de sauver l’indépendance du pays et l’avenir de la dynastie Romanov.
Le même jour que le compromis, Nicolas II adopte en faveur de son frère le grand-duc Mikhaïl Alexandrovitch Romanov qui devient l’éphémère Michel II. Je dis bien éphémère car dès le lendemain il abdique à son tour mettant fin à l’empire russe.
Ailleurs en Russie la chute du tsarisme est accueillit avec enthousiasme, tout le monde espérant que le changement c’était enfin pour maintenant.
Octobre Rouge : Kerenski out Lenine in
Si la révolution de février à été un mouvement totalement spontané récupéré in-extremis par le politique, la révolution d’octobre (25 octobre 1917 pour le calendrier julien, 7 novembre 1917 pour le calendrier grégorien) est un événement minutieusement préparé par un petit groupe de révolutionnaires professionnels menés par un certain Vladimir Illitch Oulianov plus connu sous son nom de guerre de Lénine.

Vladimir Illicht Oulianov dit Lenine
Depuis février 1917 une double autorité dirigeait la Russie depuis Pétrograd, un gouvernement provisoire dirigé par Kerenski et le Soviet de Petrograd. Ce duo qui s’est entendu sur un compromis boiteux décide de poursuivre la guerre en dépit du fait que le conflit est hautement impopulaire.
L’opposition au gouvernement se cristallise autour du mouvement bolchévik dont le programme simple (paix, pain et terre) attire les déçus et les mécontents d’un gouvernement qui en choisissant de poursuivre la guerre ne peux mener à bien les réformes qu’il à promis.
A l’été 1917 la crise économique empire encore, tous les partis soutenant le gouvernement provisoire sont clairement discrédités laissant le champ libre au bolchéviks de Lenine et de Trotsky.

Trotsky
Le 25 octobre 1917, Lénine et Trotsky après une longue période de propagande et d’agit-prop lancent leurs partisans dans un soulèvement armé à Petrograd contre le gouvernement provisoire de Kerenski. Les combats sont limités et le lendemain Trotski annonce la dissolution du gouvernement provisoire et son remplacement par le Congrès pan-russe des soviets des députés ouvriers et paysans (649 délégués dont 390 bolcheviks).
Tous les pouvoirs sont transférés aux soviets, le congrès pan-russe adoptant également un décret sur la terre, sur la paix, sur les nationalités et sur le contrôle ouvrier de la production.
L’arrivée au pouvoir n’à pas été un long fleuve tranquille. Elle à profité d’erreurs du gouvernement provisoire et d’un contexte extérieur favorable. Le 1er juillet 1917 (calendrier grégorien) le gouvernement Kerenski lance l’ultime offensive russe de la guerre, une offensive qui est un échec cuisant.
Cette offensive entraîne des troubles intérieurs ce qu’on à appelé les «journées de juillet 1917», une série d’événements confus du 3 au 7 juillet (16 au 20 juillet 1917 calendrier grégorien) où une partie de Petrograd se révolte contre le gouvernement provisoire.
Kerenski qui cumule les fonctions de ministre de la Guerre et de la Marine réprime cette insurrection où les bolcheviks jouent un rôle ambigu. Effrayé le gouvernement provisoire décide de sévir, faisant venir des troupes fidèles dans la capitale, interdisant la Pravda, arrêtant de nombreux leaders bolcheviques (Kamenev, Trotsky, Lounatcharski), d’autres fuyant en Finlande (Lénine, Zinoviev).
Cette révolte à aussi un impact sur le gouvernement provisoire, le prince Lvov cédant la place à Kerensky qui homme fort de facto devient homme fort de jure. Au sein de l’armée, le général Broussilov cède la place comme commandant en chef au général Kornilov.
En apparence le gouvernement provisoire à triomphé des éléments les plus radicaux. En réalité la situation est toujours aussi incertaine, incertitude illustrée par une affaire confuse, l’affaire Kornilov ou en version russe Kornilovchtchina.
C’est un affrontement entre le général Kornilov, commandant en chef de l’armée russe et Aleksandr Kerenski, président du conseil des ministres du gouvernement provisoire et ministre de la guerre.
Après l’échec de l’offensive Kerenski à l’été 1917 et l’échec bolchevique en juillet 1917, le général Broussilov est demis de ses fonctions et remplacé le 6 juillet 1917 (19 juillet calendrier grégorien)sur décret gouvernemental par le général Kornilov.
Ce dernier propose un vaste programme de réformes, le «programme Kornilov» destiné notamment à rétablir l’autorité et la discipline au sein d’une armée plus préoccupée par la politique que par son cœur de métier.
Le programme est approuvé mais dans un contexte confus et incertain, Kerenski inquiet de l’aura de son commandant en chef décide de le démettre de ses fonctions le 9 septembre, le soupçonnant de vouloir prendre le pouvoir et d’établir une dictature militaire.
Kornilov estime alors que Kerenski est tenu par les bolcheviks qu’il soupçonne de préparer un nouveau coup de force. On semble se diriger vers un nouvel affrontement entre factions mais en réalité l’armée ne suit pas Kornilov qui est arrêté avec 7000 partisans.
Ce coup d’état manqué porte un coup fatal au prestige et à l’autorité du gouvernement provisoire,remettant les bolcheviks dans le jeu et ouvrant la voie à leur prise du pouvoir car les partisans de Lénine et de Trotsky sortent grandis et renforcés de ce putsch tragi-comique.
Les masses se radicalisent, le soviet de Petrograd accorde sa majorité aux bolcheviques le 31 août et un mois plus tard le 30, Léon Trotsky est élu à sa présidence. Pétrograd n’est pas un phénomène isolé, la montée en puissance est également visible dans d’autres villes comme Moscou. Le slogan «Tout le pouvoir aux soviets» fait fureur.
Dans les campagnes, les paysans lassés d’attendre la réforme agraire promise occupent les grands domaines. Si certaines occupations sont pacifiques d’autres dégénèrent en véritables jacqueries avec des nobles assassinés. Le gouvernement laisse faire, adoptant une attitude neutre, n’approuvant ni ne condamnant pas les occupations. Ces occupations aggravent les désertions puisque la majorité des militaires russes sont paysans.
En octobre 1917, Lénine et Trotsky estiment qu’il est temps d’en finir avec le double pouvoir. Les débats sont vifs notamment avec Kamenev et Zinoviev qui estiment que le temps jouent pour eux et qu’il est inutile de précipiter les choses. L’insurrection est fixée pour la veille de l’ouverture du 2ème congrès des soviets prévue le 25 octobre 1917 (7 novembre en calendrier grégorien) à la veille
Un comité militaire révolutionnaire est créé sous la direction de Trotsky, comité disposant d’ouvriers armés, de soldats et de marins qui obtiennent soit le ralliement ou la neutralité bienveillante de la garnison de la capitale.
Un plan méthodique de prise de contrôle des points stratégiques de la capitale est dressée sans secret aucun. Kerenski laisse faire espérant que l’affrontement final va enfin vider cet abcès purulent.
L’insurrection est lancée dans la nuit du 24 au 25 octobre (6 au 7 novembre calendrier grégorien), insurrection de gentleman si j’ose dire car la résistance est très faible voir inexistante. Seuls quelques bataillons d’élèves officiers et un bataillon féminin protégeant le palais d’Hiver tentent de résister mais que cela ralentisse exagérément le coup de force qui n’à fait que cinq morts et quelques blessés.
Le 25 octobre 1917, Trotsky annonce la dissolution du gouvernement provisoire lors de l’ouverture du congrès pan-russe des soviets des députés ouvriers et paysans (562 délégués présents dont 382 bolcheviks et 70 SR de gauche). Une partie des délégués quitte néanmoins le congrès pour protester contre le coup de force mais cette opposition est non seulement minoritaire mais également inoffensive.
Le 26 octobre, les Soviets ratifient la constitution d’un Conseil des commissaires du peuple, un nouveau gouvernement entièrement composé de Bolcheviks.
Les premiers décrets ne tardent pas qu’il s’agisse de la volonté de terminer la guerre au plus vite mais également d’entériner le partage sauvage des grands domaines agricoles.
La peine de mort est abolie (sic), les banques sont nationalisées, les ouvriers reçoivent le contrôle sur la production, une milice ouvrière est créée, la journée de huit heures accordée, la souveraineté et l’égalité de tous les peuples de l’empire qui reçoivent le droit à l’autodétermination.
Les engagements russes sur les emprunts obligataires sont annulés (c’est le début du scandale des emprunts russes qui ruina nombre de de petits épargnants), la suppression de tout privilège à caractère national ou religieux, la séparation de l’Église orthodoxe et de l’État, le passage du calendrier julien au calendrier grégorien…. .
Cette phase plutôt libérale ne va pas durer et à la clémence succède une poigne de fer, les bolcheviks se montrant intraitables vis à vis de leurs opposants.
Si le coup de force en lui même n’à pas rencontré de résistance, les bolcheviks ne sont pas sortis pour autant d’affaire.
Le 12 novembre 1917 (calendrier julien soit 25 novembre en calendrier grégorien) à lieu une tentative de reconquête menée par Kerenski et par les cosaques du général Krasnov.
Ils doivent être appuyés par une révolte d’élèves-officiers menés par des SR mais les Gardes Rouges tuent cette rébellion dans l’œuf. Les cosaques eux sont repoussés à 20km de Petrograd. D’autres tentatives ont lieu mais aucune ne réussit en raison d’une désaffection de la troupe qui passe peu à peu de l’autre côté.
Alors qu’une guerre civile s’annonce, Lénine décide de mettre fin à la guerre avec l’Allemagne pour stabiliser le régime. Un armistice est signé avec les Empires centraux le 15 décembre, armistice qui sera suivit comme nous l’avons vu par le traité de Brest-Litovsk du 3 mars 1918, un traité très dur avec la Russie.
Signe de ce durcissement prévisible, une police politique avait été créé dès le mois de décembre 1917, la tristement célèbre Tchékà et ces tchékistes. En janvier 1918 l’assemblée constituante est dissoute après sa première séance. Au printemps 1918, tous les autres partis sont dissous, c’est le début comme nous allons le voir de la guerre civile russe, l’un des conflits les plus abominables du 20ème siècle.