Divisions Blindées (Divisione Corrazate)
Un très long chemin
Après trois mois de guerre ouverte, après trois mois d’une boucherie innommable le front occidental se stabilise de la mer du Nord à la frontière suisse soit 700km d’un réseau de tranchées entre lequel se situe un lieu sinistre, le lieu où l’homme est absent (no man’s land), un lieu apocalyptique fait de trous d’obus remplis d’eau, de boue voir de gaz, des barbelés le tout balayé par le tir mortellement efficace des mitrailleuses.
Après plusieurs offensives frontales aussi coûteuses qu’inefficaces, après le constat que l’artillerie était incapable de couper les barbelés l’évidence s’imposa qu’il fallait accompagner l’infanterie par des «mitrailleuses sous blindage» : le char était né.
Si l’Allemagne rata le coche, la France et la Grande-Bretagne se lancèrent dans la production en masse de gros et de petits chars qui allaient jouer un rôle majeur dans la victoire face à une armée allemande qui compris trop tard l’utilité du char.

Schneider CA-1
Et l’Italie dans tout ça. Sur son front de l’Isonzo le char aurait pu s’exprimer pour limiter les pertes italiennes. Une commande est bien passée à la France pour 20 Schneider et 100 Renault FT mais elle resta lettre morte.

Renault FT en version canon avec un canon de 37mm SA modèle 1916
Le 11 novembre 1918 quand les canons se taisent le Regio Esercito Italiano dispose en tout et pourt tout d’un Schneider CA, de quatre Renault FT _fournis par la France associés à deux Fiat 2000, des mastodontes de 39 tonnes de conception nationale mais aucun n’est engagé au combat.

Fiat 2000
1200 Fiat 3000, un char léger inspiré du «char de la victoire sont bien commandés mais la commande est réduite à 100 au moment de l’Armistice. Les premiers exemplaires sont livrés en….1921.

Fiat 3000
C’est le temps des expérimentations, des essais et autres tatonements. En 1919 est créée la Batteria Autonoma Carri d’Asalto, la batterie autonome de chars d’assaut qui regroupe les chars italiens.
Comme pour la Grande-Bretagne et la France, les chars italiens sont engagés dans des opérations de pacification coloniale en l’occurence un Fiat 2000 et trois Renault FT, des armes contre lesquels les rebelles sénoussis étaient totalement démunis.
Le 7 janvier 1923 est créé à Rome le Reparto Carri Armato qui devient quatre ans plus tard le Reggimento Carri Armati, un régiment à cinq bataillons de 20 chars ce qui correspond à une compagnie dans d’autres armées (encore qu’en France les BCC disposaient de 34 et de 45 chars).
En 1929, quatre escadrilles d’automitrailleuses s’y ajoutent alors que l’année suivante le matériel évolue avec le remplacement des Fiat 3000 armés d’un affût double de 6.5mm par des Fiat 3000 armés d’un canon de 37mm. Deux ans plus tard le reggimento quitte le Latium et la ville éternelle pour Bologne et l’Emilie-Romagne.
Si il était tentant pour les pionniers d’exagérer leur rôle de martyr de l’arme blindée il est certain que les officiers italiens partisans des idées nouvelles rencontrent une forte résistance parmi les généraux les plus conservateurs.
Difficile de savoir si cette opposition est liée à un scepticisme sur les capacités du char à remporter la décision, à la crainte de perdre son poste ou à une saine lucidité sur les capacités de l’industrie italienne à produire les nombreux véhicules nécessaires pour une «division à base de chars».
Les choses évoluent mais sûrement moins vite que les partisans italiens des chars l’aurait souhaité puisqu’en 1935 on trouve un Ragruppamento Carri d’Assalto qui dispose de trois groupes et du XX Battaglione Carri Armato, un groupement essentiellement équipé de chars légers très légers, les CV-33 et 35 inspirés de chenillettes Carden-Lloyd acquises auprès de l’industrie britannique.

L-3/33 ex-CV-33 devant un M-13/40
Deux ans plus tard ces petits chars souffrent sous les coups des chars soviétiques équipant les républicains qu’il s’agisse du T-26 ou du BT-7.
Entre-temps le Reggimento Carri Armati est réorganisé en cinq bataillons de chars de rupture (Battaglione Carri di Rottura) et dix-neuf bataillons de chars rapides (Battaglione Carri Veloci), les premiers étant équipés de vingt-cinq Fiat model 30 (ex-Fiat 3000) et les seconds quarante-trois CV-33 ou 35.
Quand on voit les chars de rupture étudiés et produits par les autres bélligérants on peut se demander si le Regio Esercito était bien sérieux avec le cousin du Renault FT comme char de rupture….. .
Dès août 1936 la nouvelle organisation est…..réorganisée avec la présence de quatre Reggimenti Fanteria Carrista, deux disposant de quatre bataillons et deux autres de six bataillons.
Deux mois plus tôt en juin 1936 avait été créée la Brigata Motomeccanizatta, une première vrai unité à base de chars. En effet cette brigade était composé du 31ème bataillon de chars rapides (31e Battaglione Carri Veloci) équipé de quarante-trois CV-35, du 5ème régiment de Bersaglieri (infanterie portée) et d’un Gruppo Leggero Motorizzato (artillerie tractée).
Cette unité est sous-équipée en matière d’armement, de puissance de feu. Sous entrainée elle l’est également avec aucun exercice réalisée en 1936 faute de budget !
Le 15 juillet 1937 la Brigata Motomeccanizatta devient la 1a Brigata Corazzata, la 1ère brigade cuirassée avec un régiment de chars à trois bataillons (le 31ème bataillon est devenu régiment) accompagné par un régiment d’infanterie portée (5o Reggimento Bersaglieri) et par un groupe d’artillerie.
On y ajoute une compagnie motocycliste, une compagnie de canons antichars de 47mm, une compagnie du génie et une batterie antiaérienne.
Le même jour une 2ème brigade cuirassée est créée avec le 32a Reggimento Fanteria Carrista et le 3o Reggimento Bersaglieri.
La mise en place des divisions blindées italiennes et leur évolution
Vingt ans après la mise en place de la batterie autonome de chars d’assaut le Regio Esercito Italiano créé enfin des divisions blindées, des unités appelées Divisioni Corazzate dans la langue de Dante.
C’est ainsi qu’en février 1939 la 2a Brigada Corazzata devient la 132a Divisione Corazzata «Ariete» suivit en avril de la 1a Brigada Corazzata qui devient la 131a Divisione Corazzata «Centauro».
Initialement il était prévu la constitution en novembre 1939 d’une troisième division cuirassée mais finalement la 133a Divisione Corazzate «Littorio» n’est créée qu’en septembre 1944.
En septembre 1948 l’organisation théorique d’une division blindée italienne est la suivante :
-Un état-major
-Des unités de soutien et de service
-Un bataillon d’éclairage avec des autos blindées et des motocyclistes
-Un régiment de chars à trois bataillons (un bataillons de chars lourds ou Pesanti, un bataillon de chars moyens ou Medi et un bataillon de chars légers ou Leggeri)
-Un régiment d’infanterie portée (Bersaglieri)
-Un régiment d’artillerie
-Deux groupes de canons d’assaut
-Un bataillon du génie
-Une compagnie antichar
-Une batterie antiaérienne
Sur le papier tout est là mais en réalité il manque bien des choses, les tableaux théoriques sont rarement pour ne pas dire jamais complets, l’infanterie portée manque d’un véhicule spécialisé comme les half-track allemands ou les VTT français, l’artillerie n’à pas de canon automoteur, le génie est insuffisant tout comme la protection antiaérienne et antichar.
Bref les trois divisions blindées du Regio Esercito Italiano auraient été bien incapables de s’opposer aux DLM/DC françaises ou aux Armoured Division de Sa Majesté.
Des améliorations sont apportées mais cela ne change pas grand chose aux trois divisions. Si l’Ariete envoyée en Africa Septentrionale Italiana (ASI) est anéantie durant l’opération BAYARD, les deux autres vont être engagées contre la Yougoslavie et la Grèce où face à un adversaire vite dépassé vont réaliser de bonnes performances.
Outre le manque de matériel, les divisions cuirassées italiennes vont se heurter au scepticisme et à l’incompréhension du haut-commandement qui à l’instar de son homologue japonais va démanteler ces divisions et employer les chars, l’infanterie portée et l’artillerie au petit bonheur la chance.
A l’automne 1949 l’Ariete est reconstituée avec le numéro 134 (et parfois le nom Ariete II), une division reconstituée en partie avec du matériel allemand. Elle sera engagée en Russie au sein du CSIR. Elle formera ensuite une brigade en Sicile où elle sera définitivement détruite (elle portait alors le numéro 136)
Cette leçon sera retenue pour l’après guerre et l’Esercito Republicana Italiana s’équipera d’un puissant corps blindé à quatre divisions qui aurait été une noix dure à casser pour les forces soviétiques.
Outre les trois divisions blindées, on trouve des unités de chars indépendantes destinées au soutien de l’infanterie, des compagnies et des bataillons souvent en sous-effectif, regroupés au cours du conflit dans des unités de circonstance (ragruppamento).