L’ère Meiji (1868-1912) : le Japon entre dans le monde moderne
La mise en place d’un nouveau régime impérial

L’empereur Meiji (1852-1912)
Dès la mise en place du nouveau régime impérial, deux clans se partagent le pouvoir, le clan Satsuma et le clan Choshu, formant ce qu’on à appelé l’oligarchie de Meiji.
Ayant vaincu et renversé le shogunat Tokugawa lors de la guerre de Boshin, cette nouvelle élite politique est jeune, consciente du retard du pays vis à vis de l’Occident. Pour éviter de devenir une colonie européenne ou pire subir le sort de la Chine, le pays doit s’unifier et se moderniser.
En mars 1868, des délégués des domaines féodaux sont convoqués à Kyoto, formant une assemblée nationale consultative qui après un mois de délibérations adopte la Charte du Serment qui fixe les grandes lignes de la modernisation du Japon.
Un gouvernement est rapidement mis en place, gouvernement divisé en sept départements : Législatif (assemblée haute nommée, assemblée basse avec des délégués des domaines), Executif, Shinto (affaires religieuses), Finances, Militaire, Affaires Etrangères et Affaires intérieures. Étrangement, le ministère de la Justice est indépendant.
Le territoire est divisé en préfectures (ken) et en municipalités (fu), ce découpage ne concernant que les territoires confisqués aux Tokugawa, le reste du territoire étant divisé en 273 domaines semi-indépendants.
En 1869, la capitale est transférée de Kyoto à Edo qui est rebaptisée Tokyo (capitale de l’Est). Deux ans plus tard, en 1871, le pouvoir central se sent assez fort pour démanteler les domaines, le territoire étant désormais divisé en soixante-douze préfectures et trois municipalités. Le pays est enfin centralisé.
Entre-temps en août 1869, le gouvernement avait été réorganisé avec une assemblée nationale (qui ne s’est réuni qu’une seule fois), une chambre des conseillers et huit ministères (affaires civiles _ministère de l’Intérieur en 1873_ Affaires Etrangères, Trésor, Armée, Marine, Justice, Travaux Publics,Education et Agence Impériale).
En deux ans, le pays à été unifié et réorganisé. Tout semble aller pour le mieux sauf que rapidement l’oligarchie Meiji se divise en deux clans, un clan partisan d’un gouvernement constitutionnel, d’une monarchie parlementaire comparable à la Grande-Bretagne et un clan partisan d’un gouvernement plus traditionnel, plus autoritaire.
Trois partis vont alors émerger sur la scène publique, un Parti Libéral très inspiré par la IIIème République française, un Parti Progressiste Constitutionnel très influencé par la Grande-Bretagne et enfin un Parti Constitutionnel du Régime Impérial, plus autoritaire et plus conservateur.
Comme souvent, ces divisions étaient plus souvent des querelles de personne que de véritables différences idéologiques. Cela généra des débats houleux et des épisodes de violence.
Cela n’empêcha pas le nouveau régime de continuer son œuvre réformatrice. De 1868 à 1875, de grandes réformes touchent l’éducation, l’armée et le système juridique.
Comme à chaque fois, le processus est le même : recrutement de spécialistes étrangers ou envoi hors du Japon d’étudiants prometteurs qui une fois revenus transmettent leur savoir qui est arrangé avec la culture japonaise traditionnelle. En aucun cas, il ne s’agit d’occidentaliser le Japon mais de faire rentrer l’archipel dans le monde moderne.
De 1876 à 1880, une commission travaille sur un projet de constitution mais sans aboutir immédiatement. La principale pierre d’achoppement c’est la place de l’empereur : doit-il gouverner ou n’être qu’un simple symbole, laissant aux politiciens la réalité du pouvoir.
C’est la première ligne qui triomphe. Le 11 février 1889, la Constitution Meiji est approuvée. Elle impose la séparation des pouvoirs mais l’empereur possède la réalité du pouvoir exécutif.
Parallèlement à la mise en place de l’infrastructure politique et administrative, le gouvernement entreprend de dévelloper économiquement le pays via notamment de grandes manufactures d’état qui pilotent la modernisation du pays.

Takamori Saigo, leader de la rébellion de Satsuma entouré de ses officiers en tenue traditionnelle
Cela ne se fait pas sans mal. Des partisans de l’«ordre ancien» se révoltent que ce soit à Saga en 1874 ou en 1877 avec la rébellion de Satsuma qui est le chant du signe des samouraï qui deviennent à partir de maintenant des figures folkloriques, transmettant les valeurs chevaleresques du Bushido qui allaient expliquer bien des choses au cours du second conflit mondial et même auparavant lors de l’expansion du Japon d’Hiro-Hito.
Quelques années seulement après leur création, les entreprises d’état sont privatisées, permettant à l’état de recupérer des liquidités et à des grands groupes comme Mitsui ou Mitsubishi de consolider leur position.
La consolidation de l’Empire japonais (1890-1914)
Dans cette époque de grands bouleversements économiques et politiques, le pays connait également une importante poussée démographique passant de 30 à 50 millions d’habitants en l’espace de 50 ans (1870-1915), cette augmentation étant liée à une hausse des naissances, une baisse de la mortalité infantile et une hausse de l’espérance de vie.
Société encore rurale et largement proto-industrielle, le Japon ne peut que baser la croissance de sa population sur une hausse des quantités de riz disponibles, hausse liée à l’augmentation des importations ainsi qu’à la mise en valeur des terres arables de l’île d’Hokkaïdo.
Avec plusieurs décennies de retard sur l’Europe, le Japon connait le même schéma avec un exode rural qui voit des villes comme Tokyo et Osaka dépasser le million d’habitants. L’industrialisation ne se fait pas sans conséquences dramatiques sur l’agriculture et l’environnement.
Rapidement des règles sociales sont prises, le travail des enfants de moins de 12 ans est interdit en 1911, la durée maximale journalière du travail pour les femmes et les enfants est fixé à 12h. Une politique d’éducation volontariste permet la diffusion dans le pays d’idées nouvelles comme le socialisme et le marxisme avec les craintes qu’on imagine parmi les autorités.
Sur le plan culturel, on assiste à une opposition entre les partisans de la culture japonaise et ceux partisans de la culture occidentale. En somme, le Japon doit-il totalement s’occidentaliser ou doit-il valoriser sa culture nationale et tourner le dos à l’Occident ?
Ce débat est d’autant plus prégnant que la victoire contre la Russie en 1905 provoque un tremblement de terre au niveau mondial. En effet pour la première fois, un peuple blanc (donc théoriquement supérieur) à été battu par un peuple «inférieur».
En juillet 1890 ont lieu les premières élections législatives qui voit la victoire du Parti Libéral et du Parti Progressiste Constitutionnel qui remportent 170 des 300 sièges, cette chambre élue se heurtant à une chambre haute composée de membres nommés par l’empereur.
Comme souvent c’est un ennemi extérieur qui va mettre sous l’éteignoir cette querelle politique en l’occurrence la guerre sino-japonaise qui éclate en 1894.
Cette guerre n’éclate pas par hasard, suite à un incident de frontière ou une cause mineure, c’est le résultat de vingt-cinq années de tension entre le Japon de la dynastie Meiji, puissance montante dans la région et la Chine des Qing qui ne cesse d’agoniser depuis les guerres de l’opium cinquante ans plus tôt.
L’objet de la querelle c’est la péninsule coréenne traditionnellement sous influence chinoise mais qui intéresse le Japon par sa position stratégique. En 1884, une convention avait apparemment réglé le problème en autorisant le déploiement de troupes chinoises ou japonaises dans la péninsule à condition que l’autre partie soit d’accord.
Dix ans plus tard, des troupes chinoises et japonaises sont envoyées en Corée qui n’est plus que le théâtre des ambitions des deux puissances régionales. Après plusieurs mois de combats et d’escarmouches, la guerre est déclarée le 1er août 1894.
Face à une armée chinoise équipée d’armes obsolètes, le Japon aligne une armée bien entraînée et bien équipée, armée qui à bénéficié de conseils de la France et de la Prusse (puis de l’Allemagne) alors que la marine à mélangé avec bonheur et les influences britanniques et françaises, influence francophone symbolisée par le travail de l’ingénieur naval Emile Bertin.
Cette guerre va durer six mois, un conflit à sans unique, une suite ininterrompue de victoires japonaises tant sur mer que sur terre à tel point que dès janvier 1895, la Chine met pouce en l’air en demandant des négociations de paix.
Le 26 mars 1895, les japonais débarquent à Formose et dans les Pescadores alors que sur le continent un cessez-le-feu à été proclamé pour favoriser les négociations.
Cette action répond à un but politique : s’assurer la possession de ces territoires lors du traité de paix définitif.
Le traité de Shimonoseki est signé le 17 avril 1895. La Corée devient indépendante, le Japon reçoit la péninsule de Liadong avec le port stratégique de Port-Arthur ainsi que Formose et les Pescadores sans oublier d’importantes indemnités.
Le Japon s’affirme donc comme la puissance régionale majeure alors que la Chine confirme son déclin qui allait mener en 1911 à la chute des Qing et la proclamation de la République chinoise.
A noter que si la péninsule de Liadong est cédée à la Russie en 1898, la Corée devient un protectorat en 1905 avant d’être annexée au Japon en 1910.
L’arrivée du Japon dans la région inquiète la Russie soucieuse de renforcer ses positions en Extrême-Orient, l’accès aux mers chaudes étant un axe majeure de la politique extérieure russe (puis soviétique).
Ces tensions vont déboucher sur un conflit d’un an et demi (8 février 1904-5 septembre 1905) où pour la première fois un pays «blanc» est battu par un pays non-européen. C’est le retour du «péril jaune».
Ce conflit qui annonce le premier conflit mondial (tranchées, artillerie à tir rapide, mitrailleuses….) voit la mort de 71000 russes et de 85000 japonais. Le Japon devient une puissance incontournable dans la région alors que la Russie s’enfonce dans la crise, le conflit générant une première révolution.
A l’origine du conflit figure donc l’opposition de deux impérialismes, l’impérialisme russe à la recherche des mers chaudes et l’impérialisme japonais qui cherche à préserver son indépendance face à des puissances européennes de plus en plus présentes en Chine, à conserver son influence sur la Corée.
L’expansion russe dans l’Extrême-Orient après avoir été stoppée en 1648 par un traité avec la Chine reprend au 19ème siècle, de manière officieuse puis de manière officielle après 1850, la Chine des Qing constatant son affaiblissement irrémédiable. Pétrogad s’entend avec Tokyo, la Russie contrôlant Sakhaline et le Japon les Kouriles.
La Mandchourie et la Corée sont les deux territoires au cœur du conflit qui va opposer les Meiji aux Romanov. Les tensions n’ont cessé d’augmenter entre les deux pays, la première région devenant un protectorat russe suite à l’écrasement de la révolte des Boxer en 1900, écrasement auquel participe le Japon.
La guerre devient désormais une question de temps aussi le Japon comme la Russie se préparent, Tokyo multipliant son budget militaire par 5 et signe une alliance militaire avec la Grande-Bretagne en 1902, cette alliance permettant à la Royal Navy de concentrer ses forces en Europe à une époque où l’alliance russo-britannique est loin d’être acquise, faute à la rivalité opposant les deux nations en Asie centrale, le grand jeu cher à Rudyard Kipling.
En avril 1903, la Russie refuse d’évacuer ses troupes de Mandchourie. C’est un véritable casus belli même si le conflit n’éclate que le 8 février 1904 quand la flotte japonaise attaque la flotte russe mouillée à Port-Arthur, moins d’un mois après un ultimatum exigeant l’évacuation de la Mandchourie (13 janvier 1904).
Le Japon déclare la guerre à la Russie le 10 février. En mars, le Japon débarque en Corée et occupe rapidement la péninsule, Port-Arthur étant assiégée en août 1904. Alors que le Japon se bat à «domicile», la Russie doit tenir compte d’une logistique déficiente, le Transsibérien inachevé ne répondant pas à tous les espoirs portés en lui. Port-Arthur capitule en janvier 1905 après cinq mois de siège. Moukden est prise en mars, marquant la fin des combats terrestres.
Le coup décisif à cependant lieu du 27 au 29 mai 1905 quand l’escadre de l’amiral Tojo écrase la flotte russe de la……Baltique (qui avait quitté Kronsdadt le 11 septembre 1904) lors de la bataille de Tsushima. Cette «bataille décisive» va distiller un poison dans la pensée militaire et navale nippone.
Comme les allemands avec leur Entscheidungsschlacht, les japonais vont se persuader qu’une guerre peut être remportée par une bataille décisive, oubliant que Tsushima opposa une escadre parfaitement entraînée à une escadre épuisée, au bord de la mutinerie généralisée et que le conflit était quasiment gagné par le Japon.En clair une victoire russe à Tsushima n’aurait sûrement pas changé le cours général du conflit.
En proie à de graves difficultés intérieures (révolution de 1905 le 22 janvier notamment), la Russie doit négocier avec le Japon, les Etats-Unis servant de médiateur et de lieu des négociations, les plénipotentiaires des deux pays se retrouvant à Portsmouth (Virginie). Le traité est signé le 5 septembre 1905.
Le Japon s’approprie la Corée qui devient un protectorat (avant d’être annexé comme on l’à vu en 1910), la région de Port-Arthur, une partie des îles Sakhaline, la Russie devant évacuer la Mandchourie du sud qui est rendue à la Chine.
En dépit de cette victoire brillante, une partie des élites nippones considère qu’elle a été mutilée par les américains. Le ressentiment associé à celui du traité de Washington signé en 1922 va mettre en germes les graines d’un futur conflit qui allait changer la face du monde.
Le Japon adopte aussi vis à vis des autres peuples asiatiques une attitude paternaliste, impérialiste et colonialiste. Tout en affirmant officiellement vouloir servir de modèle à l’émancipation des peuples colonisés, le Japon ne va pas se comporter différemment des puissances coloniales.
Jusqu’en 1913 et la crise politique Taisho, les deux partis dominants cohabitent au pouvoir, les sujets d’opposition sont limités entre les libéraux et les progressistes constitutionnels.
Cette crise politique est la conséquence de la mort le 30 juillet 1912 de l’empereur Meiji auquel succède son fils le prince Yoshihito dont le règne court (1912-1926) sera entaché par les problèmes mentaux de l’empereur obligeant d’ailleurs son fils Hiro-Hito à devenir régent dès 1921.
La dernière année du règne de l’empereur Meiji avait été marquée par de sérieux problèmes budgétaires. La volonté de réduire le budget de la défense entraina la démission du ministère de la Guerre et une crise politique au cours de laquelle trois premiers ministres vont se succéder sans parvenir à dénouer l’échevau de la dite crise.
Comme la constitution Meiji impose des militaires aux postes de ministre de la Guerre et de la Marine, l’appui des forces armées japonaises auréolées de la victoire contre la Russie tsariste est impérative. A cela s’ajoute des mouvements populaires notamment une émeute à Tokyo le 10 février 1913. La crise se dénoue finalement en mars au bénéfice des forces armées.
Cette crise va semer les graines de la future militarisation du Japon. L’armée de terre et la marine vont devenir de véritables états dans l’état, empêchant comme nous le verrons le Japon de devenir une véritable démocratie parlementaire où les forces armées restent soumises au pouvoir civil.
Ce début de siècle marque aussi une évolution dans la composition du personnel politique. Le vieillissement et la modernisation aidant, les classes dirigeantes ayant mené l’ouverture (clans du sud-ouest, bureaucratie issue de la cour impériale) cède la place à des diplômés de plusieurs universités.