NAVIRES DE SOUTIEN
Avant-Propos
Longtemps le fardeau logistique imposé par la marine de guerre était pour le moins limité notamment en terme d’infrastructures. Les galères et autres trirèmes étaient tirées au sec sur la plage qui faisait office de base navale. Il fallait prévoir des vivres pour les rameurs et les soldats embarqués mais sorti de cela, point besoin de munitions ou de carburant.

Porte d’entrée de l’Arsenal de Venise
L’époque médiévale et plus encore l’époque moderne marqua l’irruption de la logistique dans le domaine du combat naval. Les premières bases navales sont construites au Moyen-Age (Clos des Gallées à Rouen, l’Arsenal à Venise) et les explorations autour du monde voient l’utilisation de navires destinés au transport des vivres et du matériel nécessaire à de longues et incertaines expédition.
L’apparition de la vapeur apporte toujours plus de servitudes logistiques puisque désormais les navires doivent être ravitaillés en carburant (charbon en attendant le pétrole), en munitions et en vivres.
Point encore de ravitailleurs spécialisés capable de délivrer le contenu de leurs soutes en marche et en mer. Il s’agit souvent de navires marchands plus ou moins militarisés délivrant le contenu de leurs cales à quai ou au mouillage au profit des cuirassés, des croiseurs et autres destroyers en attendant porte-avions et sous-marins.
Le passage au vingtième siècle marque une révolution dans le domaine de la propulsion avec le passage progressif du charbon au pétrole ce qui va permettre à terme la mise au point du ravitaillement à la mer, favorisant la mobilité des escadres et réduisant sur le papier le besoin de bases navales vulnérables à l’aviation.
Du 16 décembre 1907 au 22 février 1909, la marine américaine exécute une véritable démonstration de force en réalisant un tour du monde, épisode connu sous le nom de «Great White Fleet» en référence à la couleur blanche (et aux superstructures chamois) des coques des navires américains qui reviennent au pays en gris, la nouvelle couleur des navires américains.
Cette démonstration de force outre le fait qu’elle fait rentrer la marine américaine dans le cercle très fermé des marines mondiales montre un certain nombre d’insuffisances sur le plan logistique notamment le ravitaillement en charbon. Plusieurs charbonniers affretés étant arrivés en retard, les Etats-Unis prennent la décision de construire leurs propres charbonniers pour être autonomes.
Ironie du sort, ces navires sont construits au moment où le mazout extrait du pétrole fait montre de sa supériorité. Plus facile à transporter, plus facile à transférer _finies les interminables corvées de charbon_ il possédait également un pouvoir calorifique supérieur ce qui augmentait le rendement des chaudières.
Qui dit mazout dit pétrolier et l’US Navy ne tarde pas à acquérir des navires pour transporter le précieux carburant. Quand au ravitaillement, il se fait toujours au mouillage, le ravitaillement en marche et à la mer n’apparaissant qu’au cours des années vingt au sein de la marine allemande puis de la marine britannique avant que l’US Navy ne s’y mette.
Par ses dimensions le Pacifique impose des servitudes logistiques colossales et un puissant train d’escadre doit être construit pour suivre les escadres de cuirassés et les groupes de porte-avions sans compter le ravitaillement des dépôts dans les bases navales dispersées dans cet océan découvert par Magellan.
En septembre 1939, la marine américaine dispose de deux ravitailleurs d’aviation (AV), de six ravitailleurs de destroyers (AD), trois ravitailleurs de sous-marins (AS), trois transports de matériels (AK), trois navires-ateliers (AR), deux transports de munitions (AE), vingt pétroliers, un navire-hôpital (AH) et deux transports de troupes (AP).
Cette flotte dont certains navires sont assez anciens est renouvelée avec des navires neufs aux capacités supérieures.
Quand le second conflit mondial éclate en septembre 1948 et alors que les Etats-Unis sont toujours neutres, la flotte auxiliaire américaine dispose des navires auxiliaires suivants :
-Douze ravitailleurs de destroyers (Destroyer Tender AD) qui en dépit de leur nom sont utilisés pour les destroyers et les croiseurs.
-Six ravitailleurs d’aviation (Auxiliary Vessel AV)
-Huit ravitailleurs de sous-marins (Submarine Tender AS)
-Quatre navires-ateliers (Auxiliary Repair AR)
-Six transports de munitions (AE)
-Douze transports de matériels (AK)
-Trente-neuf pétroliers (AO)
-Deux navires-hôpitaux (AH)
-Deux transports de troupes (AP)
Il faudra ensuite attendre l’attaque japonaise pour que soient passées de nouvelles commandes de navires auxiliaires qu’il s’agisse de navires de charges (cargos, pétroliers) ou de navires auxiliaires notamment des navires-ateliers et des ravitailleurs polyvalents capables de soutenir aussi bien des destroyers, des croiseurs ou des sous-marins.
Ces navires dépendent de commandements particuliers, les Base Force (Atlantic) Base Force (Pacific) ainsi que le Base Squadron de l’Asiatic Fleet.
Durant la guerre, de nouvelles catégories de navires de soutien apparaissent notamment pour soutenir les Task Force de porte-avions mais surtout les navires amphibies.
Les différents navires de soutien
Ravitailleur d’aviation (AV)

Consolidated Catalina britannique approchant de l’île de Malte
Ces navires ont été conçus pour soutenir moins l’aviation embarquée ou l’aviation basée à terre que les hydravions à long rayon d’action, les fameux PB (dont le plus célèbre est le PBY Catalina), une ou plusieurs escadrilles bénéficiant du soutien d’un navire assurant le ravitaillement en carburant, en munitions, en pièces détachées sans oublier le soutien du personnel.
Ils pouvaient aussi assurer le transport d’hydravions de taille moyenne comme par exemple ceux destinés aux croiseurs et cuirassés américains à l’instar de ce qu’était censé faire le Commandant Teste français qui finit transport d’aviation puis navire-atelier en Indochine.

USS Wright (AV-1)
En septembre 1939, l’US Navy possède deux navires de ce type, le USS Wright (AV-1) et le USS Langley (AV-3). Si le premier est issu de la transformation sur cale d’un navire marchand, le second est un ancien charbonnier, le USS Jupiter (AC-3) transformé en porte-avions sous le nom de Langley puis une fois les techniques et les tactiques de l’aviation embarquée acquises transformé en ravitailleur d’hydravions.
-Le USS Wright (AV-1) est mis en service le 16 décembre 1921 classé comme AZ-1 à savoir tender pour plus léger que l’air, la marine américaine mettant encore en œuvre des dirigeables et des ballons stationnaires. Reclassé AV-1 le 2 décembre 1926, il passe la quasi-totalité de sa carrière dans le Pacifique étant stationné à Pearl Harbor jusqu’en juin 1945 puis à partir de cette date à Cavite aux Philippines.
Quand le Japon attaque les Philippines au début du mois d’avril, le Wright servait de bâtiment-base à Cavite, effectuant des rotations vers d’autres ports comme Subic pour déposer du matériel, des hommes et des munitions.
Gravement endommagé par un bombardement aérien japonais le 11 avril 1950, le ravitailleur d’aviation est jugé hors d’état d’être réparé. En conséquence, décision est prise de le saborder le 14, la veille de la prise de la base de Cavite par les troupes japonaises.
Durant le conflit, ils tenteront de le renflouer mais échoueront. Quand les américains reprennent le site en avril 1953, ils retrouvent le Wright sabordé mais déplacé de quelques mètres. L’épave est remorquée au large et coulée en eaux profondes (50m), servant aujourd’hui de spot de plongée.
Caractéristiques Techniques
Déplacement : 11685 tonnes à pleine charge
Dimensions : longueur 137m largeur 18m tirant d’eau 7m
Propulsion : une turbine à engrenages General Electric de 3000ch entraînant une hélice
Vitesse maximale : 15.3 nœuds
Armement : deux canons de 127mm, deux canons de 76mm, deux mitrailleuses de 12.7mm remplacées avant septembre 1948 par huit canons de 40mm Bofors et douze canons Oerlikon de 20mm
Equipage : 228 officiers et marins

USS Langley (AV-3
-Le USS Langley (AV-3) est donc l’ancien porte-avions du même nom, le premier de la marine américaine sous la marque de coque CV-1. Mis en service comme charbonnier sous le nom de Jupiter (AC-3) le 7 avril 1914, il est le premier navire à franchir le canal de Panama dans le sens ouest-est.
Désarmé le 24 mars 1920, il est transformé en porte-avions et remis en service sous le nom de Langley le 20 mars 1922. Après avoir rempli sa mission de défricheur de technologies et de tactiques, le Langley s’éclipse pour devenir ravitailleur d’hydravions, les travaux étant menés à partir d’octobre 1936, l’AV-3 remplaçant le CV-1 le 11 avril 1937.
Stationné à Cavite jusqu’en septembre 1945, il est alors remplacé par le Wright. Rentré à San Diego le 17 octobre, il y est désarmé mais reste sous cocon pour un éventuel réarmement.
Quand le Japon attaque en mars 1950, on inspecte le vétéran pour voir si il peut être réarmé. L’état de ses machines et des fissures dans la coque poussent les inspecteurs à donner un avis négatif. Rayé du Naval Vessel Register le 17 mars 1951, il est démoli entre septembre 1955 et janvier 1956 après avoir servit de ponton et de navire-dépôt.
Caracteristiques Techniques
Déplacement : pleine charge (Jupiter) 19360 tonnes standard (Langley) 11500 tonnes pleine charge (Langley) 13000 tonnes
Dimensions : longueur 165.3m largeur 19.9m tirant d’eau 6.3m
Propulsion : deux turbines à engrenages General Electric avec transmission turbo-électrique dévellopant une puissance totale de 6500ch et actionnant deux hélices
Vitesse maximale : 15.5 noeuds
Armement : le Jupiter embarquait 4 canons de 102mm en affûts simples et le Langley 4 canons de 127mm en affûts simples
Equipage : le Jupiter avait 163 officiers et marins, le Langley embarquait 468 officiers et marins
En septembre 1948, cinq autres ravitailleurs d’aviation sont en service pour compléter l’action du Wright.

USS Curtiss (AV-4)
Le USS Curtiss (AV-4) est mis en service en novembre 1940 et son sister-ship le USS Albermale (AV-5) est mis en service en décembre 1940.
Le Curtiss est endommagé légèrement à Pearl Harbor le 21 mars 1950. Il sert ensuite en Nouvelle Calédonie, aux Salomons, en Nouvelle-Guinée puis terminant le conflit aux Philippines, servant de bâtiment-base pour les hydravions mais également pour la battelerie amphibie et les dragueurs de mines.
Désarmé le 14 mars 1962 et mouillé à Suisun Bay en Californie, le Curtiss est réarmé le 8 juin 1965, étant rebaptisé USS Corpus Christi (ARVH-1) et transformé en bâtiment-base pour hélicoptères, servant depuis Cam-Ranh dans la deuxième guerre du Vietnam.
Définitivement désarmé le 4 octobre 1978, le Corpus Christi/Curtiss est ensuite vendu à la démolition.

USS Albermale (AV-5)
L’Albermale est engagé dans l’Atlantique puis en Méditerranée pour servir de bâtiment-base au déminage des ports italiens après le basculement de l’Italie dans le camp allié avec un statut de co-belligerant (janvier 1953). Il est ensuite engagé en mer du Nord pour le soutien d’escadrilles d’hydravions et de dragueurs de mines depuis les fjords norvégiens.
Rentré à Norfolk, il reste utilisé par la marine américaine comme ravitailleur d’aviation avant d’être transformé en navire-atelier en 1960 sous le matricule AR-15 mais cette utilisation est brève puisqu’il est désarmé en septembre 1965.
Mouillé à Philadelphie, il est vendu au Pakistan qui va l’utiliser jusqu’en 1995 quand un incendie entraine son naufrage au large de Karachi. L’épave est relevée et démolie.
Caracteristiques Techniques
Déplacement : 8810 tonnes Dimensions : longueur 160.73m largeur 21.11m tirant d’eau 6.43m
Propulsion : deux turbines à engrenages alimentées en vapeur par quatre chaudières dévellopant 12000ch et entrainant deux hélices
Vitesse maximale 20 nœuds
Armement : quatre canons de 127mm en affûts simples, vingt canons de 40mm Bofors (quatre affûts quadruples et deux affûts doubles), douze canons de 20mm Oerlikon en affûts simples
Equipage : 1195 officiers et marins
Suite aux deux Curtiss, la marine américaine commande trois ravitailleurs d’avions plus gros déplaçant 14000 tonnes à pleine charge. Le USS Currituck (AV-7) est mis en service en janvier 1944, le USS Tangier (AV-8) est mis en service en septembre 1945 et le USS Pocomoke (AV-9) l’est en juin 1946.
Le Currituck est déployé dans le Pacifique d’abord depuis Bremerton puis ensuite à Midway pour améliorer les capacités de l’hydrobase de l’atoll avant de jouer un rôle similaire dans les Salomons, étant endommagé à plusieurs reprises.
Sérieusement endommagé au large de Formose par un kamikaze le 25 février 1954, le ravitailleur d’hydravions est échoué pour ne pas couler. Devant l’étendue des avaries et la présence de nombreux AV, décision est prise de le démanteler après récupération de tout le matériel disponible.
Désarmé le 4 juin 1954, rayé du Naval Vessel Register le 8 septembre 1955, il est démoli entre septembre 1955 et janvier 1956.
Le Tangier engagé dans le Pacifique est stationné à San Diego puis engagé dans les Salomons et en Nouvelle-Guinée. Endommagé lors des premières opérations de la deuxième campagne des Philippines, il est réparé à Pearl Harbor avant de participer à la fin de la campagne.
Il participe ensuite à la conquête d’Iwo Jima et d’Okinawa, subissant de nouveaux dommages liés aux kamikazes.
Mis en réserve en février 1955, il est réarmé en mars 1961, transformé en bâtiment-base d’hélicoptères au profit de la flotte de l’Atlantique. Stationné à Mayport, il effectue plusieurs déploiements en Europe du Nord et en Méditerranée jusqu’à son deuxième et dernier désarmement le 17 mars 1972. Rayé du Naval Vessel Register le 8 juin 1973, il est démoli à Baltimore.
Le Pocomoke (AV-9) est engagé dans l’Atlantique, servant de bâtiment-base aux hydravions de patrouille américains dans les Caraïbes, stationnés à Key West, Guantanamo, San Juan ou encore Fort de France.
En janvier 1953, il rallie Scapa Flow pour jouer un rôle similaire mais en mer du Nord, ses hydravions traquant les sous-marins et les derniers navires de surface majeurs de la Kriegsmarine.
Après l’opération Borealis, il mouille à Bergen, servant de bâtiment-base pour les dragueurs de mines assurant le déminage des eaux norvégiennes.
Il rallie en mars 1954 Den Helder aux Pays-Bas avant de rentrer aux Etats-Unis en juin 1954 pour subir un grand carénage en vue d’un redéploiement dans le Pacifique. Le conflit s’étant arrêté entre-temps, ce déploiement un temps suspendu est finalement réalisé mais entre décembre 1954 et juin 1956, le navire opérant depuis Yokohama, Okinawa ou encore Formose.
Rentré à San Diego, il est désarmé en septembre 1956. Rayé du Naval Vessel Register le 4 octobre 1964, il est transféré à la National Defense Reserve Fleet et mouillé à Suisun Bay. Il est vendu à la démolition en septembre 1992 et démantelé.
Caracteristiques Techniques
Déplacement : 14000 tonnes
Dimensions : longueur 160.73m largeur 21.11m tirant d’eau 6.43m
Propulsion : deux turbines à engrenages alimentées en vapeur par quatre chaudières dévellopant 12000ch et entrainant deux hélices
Vitesse maximale : 20 nœuds
Armement : quatre canons de 127mm en affûts simples douze canons de 40mm en trois affûts quadruples, seize canons de 20mm Oerlikon en affûts simples
Equipage : 1247 officiers et marins.
Comme pour les autres catégories de navires de soutien, d’autres ravitailleurs d’aviation vont être construits dans le cadre du programme de guerre même si l’air de l’hydraviation semble toucher à sa fin.
En l’occurrence six AV immatriculés AV-10 à AV-15, des navires qui seront utilisés pour le soutien des hydravions, de l’aviation basée à terre mais également pour les navires légers et la batellerie amphibie