PORTE-AVIONS
Avant-propos
Les prémices
Longtemps le combat naval à été limité par l’œil humain et l’horizon. Les vigies avaient la vue perçante mais au delà de l’horizon elles étaient aveugles.
L’apparition de l’aérostat, du ballon à la fin du XVIIIème siècle laissa entrevoir l’espoir de voir au delà de la colline pardon au delà de l’horizon mais les éléments rendaient la mise en œuvre d’un aérostat complexe en dépit des progrès avec l’apparition des ballons captifs et des dirigeables.
Au final c’est le plus lourd que l’air, l’avion et son cousin l’hydravion qui allaient révolutionner le combat naval en permettant aux marines de voir toujours plus loin et d’anticiper la manœuvre adverse.
On verra même durant le second conflit mondial des batailles au delà de l’horizon où les navires ne se voyaient pas, une chose inimaginable vingt ans plus tôt.
L’US Navy n’échappa pas à la règle, suivant les différentes étapes qui allait lui permettre de posséder l’une des plus importantes flottes de porte-avions du monde.
Si un premier avion est acheté dès le 10 février 1908, il faut attendre le 14 novembre 1910 pour voir un avion décoller d’un navire en l’occurrence un Curtiss piloté par Eugène Ely qui prend son envol depuis le croiseur léger Birmingham. Deux mois plus tard le 18 janvier 1911, ce même Ely se pose sur le croiseur cuirassé Pennsylvania.
Parallèlement, les américains essayent l’hydravion qui semble davantage adapté au combat naval puisque capable de se poser sur l’eau et d’en redecoller. On verra par la suite que si le processus de décollage sera réglé à bord des navires par la catapulte, la récupération restera un problème insoluble. Dès le 12 novembre 1912, un hydravion est catapulté par un accélérateur (on utilise pas encore le terme catapulte).
Les choses vont vite (en comparaison avec d’autres pays) puisqu’une base aéronavale est créée dès 1913 à Pensacola à l’emplacement de l’Arsenal créé en 1826 mais fermé en 1914 en raison d’un site trop contraint pour les navires modernes. Le 1er juillet 1915, l’aéronavale américaine est officiellement reconnue avec la création du Office of Naval Aeronautics (Office de l’aéronautique navale).
En septembre 1918, le General Board recommande un programme de six porte-avions mais cette volonté ambitieuse est enterrée par le Secrétaire à la Marine Daniels (celui qui est connu pour avoir interdit l’alcool à bord des navires de l’US Navy).
En attendant les constructions, les structures sont mises en places avec la création le 10 août 1921 du Bureau of Aeronautics (BuAer) confié au contre-amiral Moffet rapidement surnommé «l’amiral de l’air». En 1919, des plate-forme sont montés sur des tourelles de cuirassés pour pouvoir faire décoller des chasseurs mais après quelques essais, cette méthode est abandonnée au profit de la catapulte à poudre puis à air comprimé.
Le porte-avions restant un système aux performances inconnues et sachant que le Congrès refusera une construction neuve, l’US Navy sous l’impulsion du CF Whiting décide de convertir un ancien charbonnier, le Jupiter (AC-3) qui devient le USS Langley (CV-1) lors de sa remise en service le 20 mars 1922.

Le USS Langley (CV-1) à la mer
Encore des conversions en attendant les constructions neuves
La transformation du Jupiter voit l’arasement des superstructures du charbonnier et l’installation d’un pont d’envol continu de la proue à la poupe, l’expérience britannique ayant montré que la sûreté des opérations de vol imposait un pont unique et non deux ponts séparés par un bloc-passerelle comme le HMS Furious dans sa première configuration.
L’espace dégagé entre le pont supérieur du charbonnier et le pont d’envol permet d’aménager un hangar pour abriter et réparer les appareils.
Outre une mission de porte-avions «opérationnel», le Langley va servir à mettre au point les équipements d’aterrissage (brins d’arrêts) mais également les tactiques d’emploi de l’aviation embarquée.
Seulement voilà le Langley était un navire de taille réduite et lent, la vitesse en l’absence de catapulte jouant un rôle important dans les manœuvres aviation.
Il fallait un navire plus grand et plus rapide mais bien que le Langley ait montré la viabilité du concept, les constructions neuves ne sont toujours pas à l’ordre du jour.
Coup de chance, le traité de Washington permet la transformation de deux navires de ligne en construction ou en service en porte-avions. Les américains sautent sur l’aubaine et vont transformer le Lexington (CC-1 puis CV-2) et le Saratoga (CC-3 puis CV-3) en porte-avions, leur taille permettant des tests technico-tactiques poussés sans oublier que des avions toujours plus gros y étaient facilement mis en œuvre.
«Lady Lex» et «Sister Sara» mis en service en novembre et décembre 1927 permirent aux américains de mettre au point un mode opératoire efficace pour l’aviation embarquée, l’US Navy étant capable quelques années après la mise en service de ces deux porte-avions de lancer en quelques minutes 80 appareils qui démontrèrent la capacité de l’aviation embarquée à frapper le canal de Panama ou Pearl Harbor.
Il est maintenant temps de passer aux constructions neuves. Le premier porte-avions conçu dès l’origine comme tel est le USS Ranger (CV-4), un petit porte-avions de 13500 tonnes, rapide mais peu protégé, une demi-réussite ou un semi-échec ce qui explique que ce porte-avions à peine dix ans après sa mise en service sera relégué au rôle de porte-avions école dans l’Atlantique.

USS Ranger (CV-4), une demi-réussite
Après le CV-4 mis en service en juin 1934, les américains qui bénéficient d’un contingent de 135000 tonnes de porte-avions à égalité avec la Grande-Bretagne (contre 81000 tonnes pour le Japon, 60000 pour la France et l’Italie) corrigent le tir en dessinant un navire plus gros qui adopte une architecture dite à l’américaine avec un pont d’envol en superstructure de la coque du navire, l’espace entre les deux formant le hangar.

Les USS Yorktown (CV-5) et USS Enterprise (CV-6)
Deux navires sont construits, les USS Yorktown (CV-5) et USS Enterprise (CV-6) mis en service respectivement en septembre 1937 et en mai 1938. Ils sont suivis par un navire plus petit, le Wasp (CV-7) mis en service en avril 1940 à une époque où les traités sont expirés et les américains libérés de ses contraintes qui leur avait permis de construit un troisième Yorktown, le USS Hornet (CV-8) mis en service en octobre 1941.

Le USS Wasp (CV-7)
Situation des porte-avions américains en septembre 1939 et son évolution ultérieure
Bien que les Etats-Unis restent à l’écart de la guerre de Pologne, il me semble intéressant de faire le bilan de la flotte des «ponts-plats» américains en septembre 1939.
-Depuis 1937, le USS Langley n’est plus un porte-avions opérationnel, il à été transformé en ravitailleur d’hydravions, troquant la classification CV-1 pour AV-3.
-Deux porte-avions lourds de classe Lexington, le USS Lexington (CV-2) et USS Saratoga (CV-3).
-Un porte-avions léger le USS Ranger (CV-4)
-Deux porte-avions moyens, les USS Yorktown (CV-5) et Enterprise (CV-6)
-Sont en construction, les USS Wasp (CV-7) et Hornet (CV-8)

Le USS Hornet (CV-8)
Cela nous donne une flotte de cinq porte-avions opérationnels plus deux en construction, les prémices d’une importante expansion comparable à celle du Japon, les deux pays ayant compris l’importance de l’aviation embarquée pour le contrôle du Pacifique.
Libérés des contraintes du traité de Washington en terme de tonnage global et de tonnage unitaire, les américains peuvent dessiner le porte-avions idéal et en dépit d’études limitées vont dessiner ce qu’on pourrait presque appeler un chef d’oeuvre, le porte-avions rapide type Essex.

USS Essex (CV-9)
Six porte-avions sont commandés en juin 1940. Baptisés Essex (CV-9) BonHomme Richard (CV-10) Intrepid (CV-11) Kearsarge (CV-12) Franklin (CV-13) et Hancock (CV-14) ils vont être mis en service entre mars 1944 et juin 1946, remplaçant non pas le Langley (désarmé en 1945 puis démoli, il n’était de toute façon plus un porte-avions) mais les Lexington et Saratoga désarmés respectivement en septembre 1945 et mai 1946 (Ils ne sont cependant pas démolis mais maintenus en réserve, prêts à être réarmés en cas de besoin).
Si l’Essex et le Bonhomme Richard remplacent donc les deux premiers vrais porte-avions américains, que les Kearsarge et Franklin remplacent les Ranger et Wasp déclassés au rang de porte-avions école et transport d’avions, les Franklin et Hancock permettent l’augmentation de la flotte de ponts-plats américains.
Suite aux victoires japonaises en Chine et à la guerre civile allemande (1943), l’US Navy obtient la commande de six nouveaux Essex qui vont permettre le renforcement de la flotte.
Ces navires sont baptisés USS Randolph (CV-15) USS Cabot (CV-16) USS Bunker Hill (CV-17) USS Oriskany (CV-18) USS Ticonderoga (CV-19) et USS Bennington (CV-20), mis sur cale début 1944 et mis en service entre fin 1947 et l’été 1948.
Résultat quand le second conflit mondial éclate en Europe, la Carrier Fleet de l’US Navy à fière allure avec trois Yorktown et douze Essex soit quinze porte-avions. Cette flotte est non seulement moderne mais surtout homogène ce qui facilite formation, mise en œuvre et soutien logistique.
A ces porte-avions de première ligne, on peut ajouter les porte-avions écoles Ranger et Wasp utilisés pour des patrouilles ASM dans l’Atlantique plus les Lexington et Saratoga dont le réarmement est étudié puis abandonné en raison de leur mauvais état.
Ils sont rayés des registres en mars 1949 et pour compenser leurs noms sont réattribués à deux nouveaux porte-avions lourds de classe United States. Ils ne seront cependant pas démolis avant la fin de la guerre comme si craignait que leur démolition ne soit un mauvais présage, un mauvais signe.
Après la commande des Essex immatriculés CV-15 à CV-20, le BuShips envisage de nouveaux porte-avions plus gros et mieux protégés, inspirés des Illustrious britanniques. Le pont blindé fait l’objet d’intense débats et la commande de deux porte-avions de 45000 tonnes est repoussée par le président Linbergh au printemps 1945.
En septembre 1945, la demande pour six nouveaux Essex (qui auraient été immatriculés CV-21 à CV-26) est elle aussi repoussée, le Secrétaire à la Navy échouant à convaincre Charles Linbergh de l’utilité d’augmenter encore la flotte de porte-avions de l’US Navy.
C’est la révélation d’un plan japonais pour douze nouveaux porte-avions (les futurs Unryu) qui débloque la situation avec la commande en juin 1946 de deux porte-avions lourds de 45000 tonnes baptisés United States (CV-21) et Constellation (CV-22) et de six porte-avions de classe Essex, les USS Boxer (CV-23) USS Belleau Woods (CV-24) USS Crown-Point (CV-25) USS Tripoli (CV-26) USS Antietam (CV-27) et USS Valley Forge (CV-28).
Quand la guerre éclate en septembre 1948, les deux porte-avions lourds sont sur cale tout comme quatre des six Essex, les Antietam et Valley Forge n’étant mis sur cale qu’en septembre 1949. Aucun navire de ce programme naval n’est naturellement en service en mars 1950 ,les plus avancés étant sur le point de l’être.
Comme souvent la machine s’emballe et le programme de guerre décidé en avril 1950 suite à l’attaque japonaise voit la commande de quatre nouveaux porte-avions lourds de classe United States (CV-41 à CV-44 Lexington Saratoga Langley Franklin D. Roosevelt)
Le choix de ce dernier nom provoqua de nombreuses polémiques, rapidement éteintes puise que les deux derniers United States allaient être rebaptisés Yorktown et Enterprise pour rendre hommage à ces deux porte-avions coulés par les japonais, le nom Langley étant réattribué à un porte-avions de classe Independence, les «American Colossus».
Six porte-avions de classe Essex (CV-45 à CV-50) sont également commandés ce qui pourrait à terme porter la flotte de porte-avions américains à six United States, trois Yorktown et surtout vingt-quatre Essex soit un total de trente-trois porte-avions de première ligne.

HMS Colossus. Les Colossus et les Majestic vont inspirer les américains pour leurs Independence
Et ce n’était pas fini puisque l’US Navy informée de l’utilisation de porte-avions économiques par la France et la Grande-Bretagne (sans compter les pays ayant acquis des Colossus comme les Pays-Bas et l’Argentine) accepte la proposition de Kaiser pour construire un grand nombre de porte-avions économiques inspirés des Colossus même si les Independence ne sont pas à proprement parler de simples «American Colossus».
Six puis douze navires sont commandés dès le mois de janvier 1949 suivit de deux autres pour l’exportation, l’un pour le Brésil et le deuxième pour le Chili, une clause dans le contrat permettant si besoin à l’US Navy de récupérer ces navires ce qui ne sera pas le cas, peut être de peur de pousser ces deux pays dans le camp opposé aux Etats-Unis.